Une vue de la banque centrale sur la zone euro Exposé liminaire tenu à l'occasion du 2ème Finance Forum Liechtenstein

1 Introduction

Monsieur le Chef du gouvernement, Votre Altesse Sérénissime, Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie très sincèrement de votre invitation à vous joindre en Principauté de Liechstenstein et je suis heureux d'être parmi vous aujourd'hui.

Un rédacteur de la Süddeutsche Zeitung a écrit un jour dans un ton légèrement ironique: "Celui qui a le plaisir de passer une partie de sa vie à assister à des congrès bancaires, est souvent confronté à des mots se terminant en "‑isation". À titre d'exemple, le journaliste a cité les termes "régularisation", "capitalisation" et "numérisation",

Soyez sûr que vous serez aujourd'hui également confrontés à de nombreux termes se terminant en "-isation", d'autant plus que deux des trois termes cités figuraient déjà dans l'invitation. Il est fort possible que vous entendrez aussi parler en allemand de "Refinanzierung" (refinancement), de "Implementierung" (mise en oeuvre), de "Positionierung" (positionnement), de "Fokussierung" (concentration), de "Standardisierung" (normalisation), de "Stabilisierung" (stabilisation) ou peut-être même de l'expression "Optimierung der Bilanzierung" (optimisation de la comptabilisation).

Dans son livre "Der Dativ ist dem Genitiv sein Tod", le critique linguistique allemand Bastian Sick s'est déjà plaint, il y a quelques années de la "suprématie en allemand des termes en -ierung". Il est vrai que du point de vue littéraire, ce style nominal n'est en fait pas précieux, mais cela importe sans doute peu dans un forum d'économie financière. Donc, permettez-moi de me concentrer sur les contenus et non pas sur l'emballage linguistique.

Dans mon exposé d'aujourd'hui, je voudrais porter le regard sur la situation dans la zone euro.

Le Liechtenstein jouxte la zone euro pas uniquement du point de vue géographique. Il existe également des liens économiques et juridiques étroits avec l'UE, d'autant plus que la principauté appartient à l'Espace économique européen et fait ainsi partie du marché intérieur, ce dont profitent notamment les banques du pays. La forte appréciation du franc suisse par rapport à l'euro intervenue l'an dernier a non seulement pesé sur l'industrie suisse, mais aussi sur les entreprises exportatrices du Liechtenstein.

Les décisions du Conseil des gouverneurs de la BCE en matière de politique monétaire sont par conséquent tout aussi importantes pour la zone du franc suisse que la réglementation du marché financier et la stabilité institutionnelle de l'Union monétaire européenne.

Avant d'entrer dans le détail, je voudrais formuler à ce sujet trois thèses clés:

  1. La politique monétaire européenne s'est profondément aventurée en terrain inconnu et le risque d'une mainmise de la politique budgétaire augmente. Dans le cadre de l'évaluation – certes difficile – des décisions de politique monétaire, il convient de ne pas sous-estimer les risques et de ne pas surestimer les capacités de la politique monétaire.

  2. Pour stabiliser à long terme l'Union monétaire, il est nécessaire de procéder à une réforme de son cadre institutionnel. Dans ce contexte, il s'agit de rétablir l'équilibre entre l'action et la responsabilité.

  3. Des progrès importants ont été réalisés dans le domaine de la réglementation du marché financier, ce qui a rendu notre système bancaire plus robuste aujourd'hui qu'il ne l'était avant la crise financière. Tous les points de l'agenda réglementaire n'ont toutefois pas encore été entièrement traités, qu'il s'agisse des banques ou des banques de l'ombre.

2 La politique monétaire dans la zone euro

Permettez-moi de commencer par la politique monétaire.

Comme vous le savez, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) a décidé un nouvel assouplissement de sa politique monétaire lors de sa réunion tenue il y a un peu moins de deux semaines,

le nouvel abaissement des taux directeurs ayant retenu la plus grande attention du public. Le taux des opérations principales de refinancement se situe maintenant à 0 %, le taux pour les dépôts détenus auprès de l'Eurosystème a de nouveau été abaissé pour se situer maintenant à -0,40 %. Le Conseil des gouverneurs a, en outre, décidé un paquet de mesures relativement important :

Ainsi, l'Eurosystème propose à partir de juin d'autres opérations de refinancement ciblées à long terme, par lesquelles les banques peuvent emprunter des liquidités sur une durée de quatre ans à des conditions extrêmement favorables – par défaut, au taux des opérations principales de refinancement de 0 % sur l'ensemble de la période à courir jusqu'à l'échéance. Les banques qui octroient des crédits supplémentaires – à l'exception des crédits immobiliers – reçoivent même de l'argent en retour, à savoir dans le meilleur des cas la différence entre le taux des opérations principales de refinancement et le taux de dépôts en vigueur le jour de l'attribution.

Par ailleurs, le volume des achats d'emprunts a été augmenté de 60 milliards à 80 milliards d'euros. Dans le cadre de ce volume total, il est prévu d'acheter à l'avenir également des titres d'emprunt émis dans la zone euro par des entreprises non financières. En même temps, le Conseil des gouverneurs a déclaré qu'il ne comptait pas relever les taux d'intérêt de la banque centrale pendant une période prolongée, à savoir même après que le programme d'achat de titres d'emprunt aura déjà pris fin.

Avec ce paquet de mesures, le Conseil des gouverneurs a réagi aux perspectives très faibles en matière de prix dans la zone euro. Il faut s'attendre à ce qu'au cours de la période de prévision, le taux d'inflation ne se rapprochera que très progressivement du niveau de stabilité des prix. Fin 2018, ce taux atteindra 1,6 %.

Par ailleurs, les projections des économistes de la BCE indiquent que le redressement graduel de l'économie dans la zone monétaire va certes perdurer, mais sera sans doute un peu plus faible que cela n'avait été prévu en décembre. La croissance atténuée de l'économie mondiale a également un impact sur la zone euro.

Or, une dégradation des perspectives en matière de prix ne doit pas forcément aboutir en une réaction de politique monétaire. Cela vaut en particulier lorsque l'évolution des prix est surtout générée par un fort recul des cours pétroliers.

L'importance de l'impact des prix très volatils de l'énergie sur les prévisions est également reflétée par le fait que la projection du taux d'inflation sur la base du prix actuel du pétrole, qui se situe environ 20 % au dessus du prix utilisé pour la projection, serait, prise à part, plus élevée de 0,2 point de pourcentage en 2016.

Mais le taux sous-jacent, c'est-à-dire le taux d'inflation diminué des composants volatils, tels les prix de l'énergie ou des denrées alimentaires, a lui aussi baissé de manière inattendue ces derniers temps. Malgré la prévision d'une légère hausse au cours de la période retenue, ce taux, qui sert de valeur approximative pour déterminer la pression intérieure sur les prix, sera en 2018 de nouveau inférieur à la définition de la stabilité des prix.

Je pense toutefois qu'il est encore trop tôt pour constater avec certitude si ce recul du taux sous-jacent est de nature provisoire ou durable. Ce n'est pas la seule raison pourquoi l'incertitude concernant les projections d'inflation est actuellement très marquée.

Une pression urgente d'agir en matière de politique monétaire peut apparaître également lorsque sur une période prolongée, une inflation très faible entraîne une baisse sensible des anticipations d'inflation à plus long terme. En effet, cela pourrait contribuer à ce que les taux d'inflation futurs seront eux aussi trop bas. Avec une valeur de 1,4 %, les anticipations d'inflation à plus long terme basées sur les marchés étaient ces derniers temps effectivement clairement en dessous de notre norme de stabilité des prix.

Ce constat ne fournit toutefois pas de preuve d'un désancrage des anticipations d'inflation et donc d'un risque de taux d'inflation durablement trop bas, puisque ces valeurs peuvent aussi être la conséquence d'effets de liquidités des programmes d'achats de titres souverains et de primes de risque d'inflation négatives. C'est ce que laisse tout au moins supposer une comparaison avec les anticipations d'inflation basées sur des sondages, qui récemment n'ont que peu ou pas du tout diminué et se situent beaucoup plus proches de la définition de la stabilité des prix. Toutefois, le risque d'un désancrage augmente naturellement avec la durée de la période au cours de laquelle les acteurs économiques observent un taux d'inflation qu'ils perçoivent comme étant durablement inférieur à la définition de la stabilité des prix.

La situation née des nouveaux pronostics a donc constitué du point de vue de la politique monétaire un défi et a fait apparaître une nécessité d'agir. Le Conseil des gouverneurs de la BCE était d'accord sur ce point. Toutefois, je pense que ces mesures sont allées trop loin et le vaste paquet de mesures ne m'a pas convaincu.

En ce qui concerne l'achat de titres souverains au sein de l'Union monétaire, mes craintes sont connues. Le dernier recul des prévisions en matière de prix et de croissance ne me convainc également pas de la prétendue nécessité d'avoir recours à cet instrument que je considère comme un pur instrument d'urgence, puisqu'il mène finalement à un mélange dangereux entre politique monétaire et politique budgétaire. Même après que les prévisions aient été revues à la baisse, je considère toujours que le risque d'une spirale vers le bas à caractère déflationniste est très faible.

Cela dit, le fait est que le Conseil des gouverneurs vise à moyen terme un taux d'inflation inférieur à, mais proche de 2 % afin de répondre au mandat d'assurer la stabilité des prix.

Un argument en faveur du fait que les banques centrales des grandes zones monétaires recherchent généralement un taux d'inflation proche de 2 % est que des hausses de prix légèrement positives offrent une certaine distance de sécurité par rapport au taux plancher. Celui-ci ne se situe certes pas – comme nous le savons aujourd'hui – exactement à zéro, mais pas non plus sensiblement au-dessus. La marge de manœuvre de la banque centrale pour exercer un effet stimulant sur l'économie au moyen d'instruments conventionnels peut rapidement être épuisée dans le cas d'un objectif d'inflation trop bas.

L'objectif ne devrait cependant pas non plus être trop élevé car, on le sait, l'inflation entraîne des coûts. Et cela ne vaut pas uniquement à partir de taux d'inflation à deux chiffres. C'est aussi la raison pour laquelle à l'échelle mondiale, de nombreuses banques centrales ont désormais pour mandat d'assurer la stabilité des prix.

On peut éventuellement faire la comparaison avec un navire : ce dernier devrait toujours avoir suffisamment d'eau sous sa quille pour ne pas échouer, mais pas trop non plus afin de lui permettre de jeter l'ancre.

Il est important de souligner que nous poursuivons un objectif à moyen terme. À moyen terme ne signifie ni "dans un avenir lointain" ni "le plus rapidement possible et à n'importe quel prix". La signification de "à moyen terme" reçoit ainsi délibérément un certain flou en ce qui concerne l'horizon temporel exact. De cette manière, la politique monétaire est pourvue de la flexibilité nécessaire pour pouvoir réagir de manière appropriée face aux différents chocs macroéconomiques. L'attente que la politique monétaire peut à tout moment et toujours garantir un taux d'inflation d'un peu moins de 2 % dépasserait certainement les moyens de cette dernière.

En effet, en même temps que le souhait légitime de rabaisser le taux d'inflation vers la marque des 2 %, la politique monétaire ne doit pas oublier que la persistance de la politique des taux bas et les mesures non conventionnelles entraînent également des risques. Et ne serait-ce que le fait que le Conseil des gouverneurs de la BCE doit faire face à des revendications de plus en plus aberrantes, comme la "monnaie hélicoptère".

Mesdames, Messieurs,

Vous tenir un discours sur les risques et les effets secondaires de la politique monétaire reviendrait sans doute à porter de l'eau à la rivière. Vous savez tous qu'une politique monétaire ultra-laxiste peut à la longue poser des risques pour la stabilité du système financier :

d'une part parce que le risque de bulles sur les marchés financiers augmente. C'est la raison pour laquelle certains États membres de l'Union monétaire ont entre temps pris des mesures dites macroprudentielles, pour par exemple prévenir des excès sur le marché immobilier.

Il est logique que lorsque de tels risques pour la stabilité financière apparaissent, l'on fait surtout appel à la politique macroprudentielle. Un institut d'émission orienté vers la stabilité ne devrait pas choisir entre l'objectif de la stabilité monétaire et celui de la stabilité financière ; cela mène rapidement dans l'arbitraire en matière de politique monétaire. Cependant, une politique monétaire axée sur la stabilité des prix à plus long terme ne peut pas entièrement ignorer ces risques. En fin de compte, les risques pour la stabilité finacière menacent aussi régulièrement la stabilité des prix, comme la crise financière l'a démontré de manière impressionnante.

D'autre part, parce que la profitabilité du secteur bancaire peut souffrir, et ce plus la période des taux d'intérêt bas persiste et plus la courbe de rendement est plate. Bien entendu,ce qui nous, banquiers centraux, importe, ce ne sont pas les bénéfices des banques, mais leur capacité de transmettre des impulsions provenant de la politique monétaire. Or, cette capacité n'est pas indépendante du niveau des fonds propres, car celui-ci détermine fortement la capacité des banques à absorber des chocs.

Il est donc d'autant plus important que les banques focalisent leurs activités de manière à être durablement profitables. Elles doivent donc réexaminer leurs modèles d'activités, poser leur bilan sur des bases solides et profiter de l'espace qui se présente pour procéder à des consolidations afin d'économiser des coûts, faute de quoi ils pourraient rencontrer des difficultés, dans une période de taux bas persistante, à thésauriser des gains et à renforcer ainsi leurs fonds propres.

3 Le cadre réglementaire de l'Union monétaire

Parmi les risques de la politique monétaire ultra-laxiste figure également le danger que les taux d'intérêt bas ainsi que les vastes achats de titres souverains réduisent la pression de procéder à des consolidations et à des réformes.

Mais cela n'est pas tout : Par le biais de ces achats, la politique monétaire et la politique budgétaire sont de plus en plus interconnectées. Pour une grande partie de la dette publique, les coûts de financement de l'État sont maintenant découplés des conditions du marché des capitaux. Étant donné que les achats augmentent en fin de compte les liquidités excédentaires des banques, les États se financent finalement pour cette part au taux de dépôt, qui est actuellement négatif.

Une différentiation des taux d'intérêt en fonction de la solidité des finances publiques, telle qu'elle constitue la règle générale lors d'un financement sur le marché des capitaux, n'a plus du tout lieu pour les titres d'emprunt achetés par les banques centrales. Mais indirectement concernés sont également les emprunts en dehors du bilan de la banque centrale. L'effet disciplinateur du marché, qui à côté des règles budgétaires devrait assurer une gestion durable des budgets, est donc affaibli dans son ensemble.

Il n'est pas étonnant que la volonté des pays membres de la zone euro de prendre des mesures de consolidation a diminué ces derniers temps. Si l'on soustrait les améliorations dues à l'effet de facteurs conjoncturels des déficits budgétaires des pays de la zone euro corrigés des dépenses d'intérêts, les excédents primaires ne se déplacent plus que latéralement ou se replient même de nouveau depuis deux ou trois ans.

La chance créée par les taux d'intérêt bas de procéder à une réduction très rapide des déficits budgétaires n'a donc pas été saisie. Ainsi pourrait se répéter une erreur déjà commise au début de l'Union monétaire dans de nombreux États membres.

Un commentaire paru dans le quotidien italien Corriere della Sera a récemment été très précis à cet égard:

"Au début du nouveau millénaire, l'Italie a manqué la grande chance qui s'est ouverte avec la réduction des marges de rendement, le tristement célèbre spread. L'avantage né de l'adhésion à la monnaie commune a plutôt entraîné une extension des dépenses publiques qui, en matière d'investissements et d'emplois, ont affiché une très faible productivité. Il n'est pas souhaitable que cette occasion soit elle aussi manquée, car nous le regretterions beaucoup."

Ce qui se rapporte ici à l'Italie vaut bien sûr également pour d'autres pays.

Or, en réaction à la crise financière et la crise des dettes, des règles budgétaires plus strictes ont été convenues pour les États membres de l'Union monétaire. Toutefois, leur caractère contraignant s'avère plus faible que cela n'avait été promis.

Cela est dû notamment au fait que la Commission européenne, dans son double rôle de gardienne des traités et d'institution politique fait régulièrement des compromis au détriment de la discipline budgétaire, alors que les règles budgétaires plus strictes avaient en fait pour but d'assurer à long terme des finances publiques plus solides. Cela constituait la base pour, en contrepartie, créer durablement le Mécanisme européen de stabilité MES.

Dans le cadre de la lutte contre la crise dans la zone euro, des risques ont été non seulement communautarisées par le Mécanisme européen de stabilité, mais aussi par le biais du bilan de l'Eurosystème.

Ces mesures ont certes stabilisé l'Union monétaire au cours de cette crise, mais elles ont aussi rompu l'équilibre entre action et responsabilité. En effet, le plus en responsabilité commune n'est pas allé de pair avec un plus en action commune. Cela est un peu comme si vous ouvriez un compte bancaire commun avec vos voisins sans avoir la moindre influence sur leurs dépenses. Cela peut bien se passer, mais pas forcément.

Si l'on veut durablement stabiliser l'Union monétaire, cet équilibre doit être rétabli. À ce jour, la zone euro ne connaît que le principe de l'appropriation nationale. Avec la règle du non-renflouement, le traité de Maastricht a même explicitement exclu une responsabilité réciproque des États membres.

Cela ne signifie pas que les pays peuvent s'endetter à volonté. Bien au contraire : Des finances publiques solides sont une condition importante pour une politique monétaire axée sur la stabilité des prix et pour assurer une stabilité durable dans la zone euro. D'autres règles ont donc été fixées pour protéger la monnaie commune : d'une part les règles relatives à l'endettement, précisées dans le pacte de stabilité et de croissance, et d'autre part l'interdiction du financement monétaire des États, c'est-à-dire l'interdiction de financer les déficits publics au moyen de la planche à billets.

De nombreuses propositions pour une réforme institutionnelles ont cependant pour but un partage des risques encore plus important, tout en restant vagues en ce qui concerne l'abandon de droits souverains au profit des autorités européennes. Or, cela n'est pas surprenant, puisque les États membres sont peu enclins à renoncer à une partie de leur souveraineté.

Tant que ces derniers s'obstinent à prendre des décisions au niveau national, un élargissement du partage des risques dans le domaine politique correspondant minerait les bases de la stabilité de la zone euro.

Je voudrais illustrer cela à partir d'un exemple concret : tant que les États membres exercent une grande influence sur la qualité des bilans bancaires, par exemple par le biais d'un droit d'insolvabilité national, une garantie des dépôts européenne serait non seulement prématurée, mais elle créerait également des incitations à transférer des risques vers le système bancaire, qui devraient alors être supportés par tous.

Par ailleurs, une garantie des dépôts européenne ne pourrait être justifiée qu'à partir du moment où les banques seraient plus indépendantes de la solvabilité de leur pays d'origine. Mais étant donné que les banques détiennent actuellement dans leurs comptes un grand nombre de titres d'emprunt de leur propre État, une garantie des dépôts européenne équivaudrait à une communautarisation de dettes souveraines.

Sans la volonté de renoncer à de larges pans de la souveraineté, il ne reste qu'un seul moyen pour protéger l'euro contre les intempéries : nous devons de nouveau renforcer la responsabilité propre des pays en augmentant la crédibilité de l'exclusion de responsabilité réciproque prévue dans le traité de Maastricht. Cette règle du non-renflouement ne peut finalement déployer son effet disciplinaire que si les acteurs du marché financier croient en sa validité.

Pour la rendre crédible, une restructuration de dettes souveraines devrait être possible sans compromettre la stabilité financière. Jusqu'à présent, l'insolvabilité d'un État membre de l'Union monétaire mettrait en danger le système financier de toute la zone euro en raison de l'étroite interconnexion entre États et banques. Par crainte des effets de contagion, les États membres ont donc été prêts à accorder des aides financières à la Grèce et aux autres pays en crise de la zone.

Mais les États à qui une aide est accordée ne sont pas les seuls qui profitent du Mécanisme européen de stabilité MES, il faut y ajouter les créditeurs privés. En effet, grâce aux crédits MES, ceux-ci récupèrent tout ce qu'ils ont prêté au pays en crise tout en encaissant, dans la plupart des cas, une importante prime de risque. Seule la Grèce a profité d'une réduction volontaire de sa dette auprès des créanciers privés, mais il a fallu attendre 2012, donc deux ans après les premières aides financières.

Cette pratique est incompatible avec le principe de responsabilité défini par Walter Eucken ("Celui qui profite doit également assumer la responsabilité").

Dans ce contexte, la Bundesbank a déjà soumis il y a plusieurs années une proposition relativement simple sur la manière dont on peut empêcher que des investisseurs privés soient déchargés de leur responsabilité aux dépens du contribuable. Selon cette proposition, les conditions d'emprunt devraient être modifiées de manière à ce que l'échéance se prolonge automatiquement de trois ans par exemple dès qu'un pays requiert des crédits d'aide auprès du MES.

Au cours de cette période, il conviendrait de déterminer si l'illiquidité du pays n'était que passagère ou s'il est effectivement en situation d'insolvabilité. Si tel est le cas, les créanciers privés pourraient être inclus dans le rééchelonnement alors nécessaire de la dette. Cela réduirait les risques pour le contribuable étant donné que le volume nécessaire des crédits d'aide serait moins important dès le début.

Une responsabilité des créanciers présuppose bien entendu que les créanciers sont en mesure de supporter les pertes éventuelles. Garantir cette capacité fait notamment partie des tâches de la réglementation du marché financier, ce qui me mène au troisième et dernier thème que je voudrais aborder.

4 La réglementation du marché financier

Avec le faible effet contraignant des règles budgétaires et le manque de crédibilité de la règle du non-renflouement, j'ai déjà mentionné deux des points faibles du cadre réglementaire existant. Au cours de la crise, il s'est avéré que le système bancaire constituait une autre faiblesse, voire le talon d'Achille de l'Union monétaire.

Aujourd'hui encore, de nombreuses banques souffrent des charges héritées du passé figurant dans leurs bilans. Des stocks importants de créances douteuses handicapent notamment les établissements dans la zone euro qui n'ont que peu de fonds propres et dont les rendements sont faibles. Ainsi, l'assainissement des bilans bancaires avance, mais ne sera pas achevée dans un avenir prévisible.

Dans cette perspective, il n'est d'ailleurs pas surprenant que l'octroi de crédits par les banques de la zone euro continue d'être faible malgré la politique monétaire extrêmement expansionniste.

Ce lien apporte lui aussi la preuve que la politique monétaire expansionniste dépend de l'action d'autres acteurs et de la politique pour pouvoir pleinement faire effet. Cela explique par exemple pourquoi le Japon a dû déplorer au moins une "décennie perdue", alors que les États-Unis ont très vite surmonté la crise financière.

Dans les sept ans et demi depuis l'effondrement de la banque Lehman, des progrès significatifs ont toutefois été enregistrés sur le chemin vers un système bancaire moins fragile. Les désincitations ont été réduites et la capacité des établissements à faire face aux risques a été augmentée. D'importants projets de réglementation ont été mis en oeuvre ou sont en voie d'être finalisés, comme par exemple Bâle III, qui garantit aujourd'hui déjà des fonds propres plus importants et de meilleure qualité dans les bilans des banques.

En Allemagne, le ratio de fonds propres moyen se situait au début de 2008 encore à 9,1 %. À la mi-2015, il était de 15,6 % et la qualité des fonds propres s'est en même temps considérablement améliorée.

Il est prévu d'achever cette année encore la révision des règles de Bâle. Un nouveau renforcement significatif des exigences de fonds propres dans le sens d'un accord Bâle IV n'est toutefois pas à l'ordre du jour. Je considère qu'il s'agit là d'un message important pour ne pas encore davantage accroître les charges du système bancaire par une incertitude inutile sur le plan réglementaire.

Les banques d'importance systémique à l'échelle mondiale, considérées généralement comme étant "too big to fail" (trop grandes pour faire faillite) devront, à l'avenir, apporter la preuve de leur capacité à absorber des pertes (TLAC). Mais les autres banques au sein de l'UE devront elles aussi disposer d'instruments de capitaux qui peuvent, en cas de liquidation, être transformés en fonds propres de garantie.

Le renflouement interne (bail-in) passe avant le renflouement externe (bail-out). Telle est la devise qui devrait être appliquée à l'avenir. Les banques qui ont fait défaut devraient être liquidées de manière ordonnée et il ne devrait plus être fait appel au contribuable qu'en dernier ressort.

Cela entraîne bien sûr des risques accrus pour les investisseurs, ce qui leur a été clairement fait comprendre au cours des derniers mois. Celui qui remet de nouveau en question la responsabilité des propriétaires et des créanciers devrait également indiquer qui doit supporter les pertes générées par une banque en faillite. Ce ne doit être en aucun cas le contribuable, car cela mettrait en péril l'acceptation de notre ordre de l'économie de marché par la société.

Mesdames, Messieurs,

La création de la surveillance bancaire européenne constitue un pas important vers l'intégration européenne, le plus important même depuis la mise en oeuvre de l'Union monétaire. Avec la création de la surveillance bancaire européenne, il a été possible de corriger un défaut de naissance de l'Union économique et monétaire. L'optique nationale des surveillants bancaires, parfois teintée de rose, appartient donc au passé.

Beaucoup a donc été entrepris pour rendre le système bancaire plus robuste. Un système bancaire vraiment solide présuppose toutefois que la dépendance des banques vis-à-vis de la solvabilité des États soit efficacement réduite.

Or, trop peu à été fait jusqu'à présent dans ce domaine. Bien au contraire : Dans certains pays de la zone euro, les banques ont considérablement investi dans les titres d'emprunt d'État et donc encore accru leur dépendance vis-à-vis de l'état de santé des finances publiques de leur pays. Des banques italiennes ont investi pratiquement tous leurs fonds propres dans des titres souverains nationaux, et la situation est similaire en Espagne.

Cela est dû notamment au traitement réglementaire préférentiel des créanciers publics. Contrairement aux créanciers privés, ceux-ci ne sont pas soumis au plafond fixé pour les gros crédits. Par ailleurs, les banques ne sont de fait pas contraintes d'assurer les titres d'emprunt publics par des fonds propres, puisqu'il est permis de leur attribuer une pondération du risque nulle. C'est la raison pour laquelle l'usine à concepts interne de la Commission européenne écrit à juste titre dans un document d'actualité : "La pondération zéro de dettes publiques au sein de l'UE et l'exemption du plafond fixé pour les gros crédits constituent une source de vulnérabilité".

Je plaide donc depuis longtemps en faveur de la suppression du traitement préférentiel des créanciers publics et je me réjouis que ce thème figure maintenant à l'ordre du jour des institutions de réglementation compétentes.

Mais il existe également des résistances et cela n'est pas surprenant. Il devrait être clair que des règles correspondantes ne pourraient être introduites que progressivement, afin de laisser aux pays le temps de s'adapter au nouveau régime. Mais il est aussi évident que seulement lorsque les banques seront en mesure de supporter l'insolvabilité d'un pays, le rééchelonnement de la dette d'un pays fortement endetté deviendra une option réaliste.

Par nature, les marchés financiers sont vulnérables face aux crises étant donné qu'ils ont tendance à exagérer. Une réglementation intelligente est donc indispensable.

Des exigences de fonds propres appropriées constituent la meilleure et la plus importante contribution de la réglementation du marché financier en faveur de la stabilité du secteur bancaire. Plus la dotation d'une banque en fonds propres est importante, plus il est facile de supporter les pertes et de surmonter une phase de faibles rendements, par exemple en raison des taux d'intérêts bas. Et c'est dans ce domaine que certains considèrent la réglementation comme un frein parce qu'elle fixerait des limites aux banques ou occasionnerait des frais. En ce sens, la réglementation est toujours un exercice délicat entre trop sévère et trop laxiste.

Il faut également veiller à ce que la réglementation bancaire n'entraîne pas des réactions d'évitement non désirées de la part des banques. Je pense en particulier au transfert d'opérations au secteur des banques de l'ombre, dont l'importance s'est accrue au cours des dernières années.

Or, cette évolution n'est pas problématique en soi, surtout en Europe. Compte tenu de la grande importance des crédits bancaires en matière de financement des entreprises, un rôle accru de sources de financement alternatives basées sur le marché pourrait très bien être bénéfique à la stabilité financière, à condition toutefois que des risques possibles sont réglementés de manière adéquate et uniforme.

Au cours des dernières années, des progrès sensibles ont été réalisés dans ce domaine tant au niveau international qu'européen. Je citerai à titre d'exemple la réglementation des activités des gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs ou des prescriptions en matière de titrisation. Les mesures prises en matière de réglementation ne sont toutefois pas encore achevées.

Au niveau international, il convient par exemple de développer des prescriptions en matière de liquidités pour des fonds communs de placement afin d'éviter trop de transformations d'échéances. Au niveau européen, il serait judicieux, dans le cadre de la création d'une union des marchés des capitaux, de procéder à une réglementation appropriée et uniforme pour les fonds de prêts afin de faire face aux risques pour la stabilité financière.

Mesdames, Messieurs,

Peut-être connaissez-vous l'anecdote du client qui entre dans la banque et dit au guichet : "Indiquez-moi le solde de mon compte, mais vite, espèce d'idiot", sur quoi l'employé se plaint du client insolent auprès du directeur de la succursale. Celui-ci lui demande : "Quel est le solde de son compte ?" "3 millions" répond l'employé. Sur quoi le directeur : "Indiquez-lui son solde, mais vite, espèce d'idiot."

Mis à part le fait qu'en période de taux de dépôt négatifs auprès de la banque centrale, des dépôts importants de clients ne sont peut-être plus tellement bienvenus, cette anecdote a l'air d'être un peu démodée, en particulier dans le contexte de la numérisation. Qui vient aujourd'hui encore dans sa banque pour y demander le solde de son compte ?

La vague de numérisation qui s'étend actuellement sur le secteur financier va bien au-delà des opérations bancaires en ligne qui aujourd'hui sont devenues la norme. Elle est en train de révolutionner les activités bancaires.

Avec les Fintechs, des entreprises de technologies financières hautement spécialisées et innovatrices, les banques classiques se voient confrontées à de nouveaux concurrents. La technologie de la blockchain, développée à l'origine pour la monnaie virtuelle bitcoin, offre de nombreuses possibilités d'application en matière de services financiers, par exemple dans le domaine de la négociation de titres.

En même temps, l'extension de la numérisation augmente la dépendance du système financier vis-à-vis des infrastructures techniques. Les cyber-risques se sont considérablement accrus au cours des dernières années.

Il n'est pas nécessaire ici d'aller plus en détail, d'autant plus que ces thèmes devraient encore être abordés à plusieurs reprises au cours de cette journée. Il est évident que la numérisation et la cyber-sécurité représentent un grand défi non seulement pour les banques, mais aussi pour les autorités de surveillance.

Nous ne devons pas freiner la force innovatrice des Fintechs, mais nous devons observer attentivement les risques éventuels pour la stabilité financière. Je voudrais citer Felix Hufeld, le chef de l'autorité allemande de contrôle bancaire : "L'essentiel n'est pas le facteur "cool" d'une entreprise, mais son type d'activités et les risques qu'elle prend."

Mesdames, Messieurs,

Il ne fait aucun doute que les banques doivent faire face à d'importants défis. Mais je suis persuadé que les banques continueront de jouer un rôle central au sein du système financier européen. En raison de la structure économique, qui compte un grand nombre de petites et moyennes entreprises, le système financier restera un système principalement basé sur les banques.

5 Conclusion

Permettez-moi de conclure.

Au début de mon exposé, j'ai cité un journaliste qui lors de congrès bancaires entend souvent des termes se terminant en "-ierung". Mon discours est lui aussi plein de ces termes, ce que vous aurez certainement remarqué.

J'ai parlé de "monetärer Staatsfinanzierung" (financement monétaire des États), de "Haushaltskonsolidierung" (assainissement budgétaire), de "Zinsdifferenzierung" (différenciation des taux d'intérêt), de "Marktdisplinierung" (discipliner les marchés), de "Restrukturierung von Staatschulden" (restructuration des dettes publiques), de "Entprivilegierung von Staatsanleihen" (fin du traitement préférentiel des titres d'emprunt publics) et finalement de "Digitalisierung" (numérisation).

L'économiste canadien John Kenneth Galbraith, décédé il y a presque dix ans, avait fait la remarque moqueuse selon laquelle les conférences sont importantes "parce qu'elles montrent avec combien de collaborateurs absents une entreprise peut fonctionner".

Je ne partagerai certainement pas ce point de vue dans la perspective du Finance Forum Liechtenstein. Bien au contraire : En fin de compte, vos entreprises profitent elles aussi de l'échange d'idées et de l'entretien de contacts.

Dans cet esprit, je vous souhaite une conférence fructueuse et vous remercie de votre patiente attention.