Les défis de politique économique dans le vent du changement Discours tenu au sommet économique 2018 organisé par la Süddeutsche Zeitung

1 Paroles de bienvenue

Cher Monsieur Beise,

Mesdames et Messieurs,

je vous souhaite une excellente journée et me réjouis de pouvoir introduire cette troisième journée de congrès – merci pour votre invitation.

Avant d’entamer notre discussion, je voudrais tendre un arc de la politique commerciale aux défis en matière de politique économique et aux futures tâches des politiques monétaire et budgétaire dans la zone euro en passant par la conjoncture internationale.

Halloween ne remonte qu’à deux semaines et je vous promets donc aussi des esprits et des zombies – et, en sus, beaucoup de vent.

2 Les effets bénéfiques des marchés ouverts

« Listening to the wind of change » chantait le groupe de rock Scorpions à la fin de l’année 1990. Cette chanson devint « l’hymne du changement » en Union soviétique et sa mise en vidéo fut pour toujours liée à la chute du Mur de Berlin, dont nous fêterons le 30eanniversaire en 2019.

« Wind of change » était inspiré par le changement lié au glasnost et à la perestroïka qui aboutirent à la chute du Rideau de fer. Ce bouleversement politique apporta aussi de profondes transformations économiques. Les États de l’ancien bloc de l’Est eurent notamment accès à une invention qui semble faire des miracles.

La série de science-fiction « Star Trek » vous a peut-être fait connaître le « réplicateur », une machine qui transforme des molécules et de l’énergie en un bon dîner ou un élégant uniforme. Une technologie similaire s’était déjà développée à l’époque dans les pays de l’Ouest. Des céréales pouvaient devenir des fruits tropicaux, quelques bouteilles de bière un steak juteux et des tonnes de pétrole une voiture.[1] Je parle du commerce international.

Le commerce permet de nous spécialiser – ce que nous savons déjà depuis Adam Smith. Nous proposons les biens et les services dont la production nous procure un avantage de coûts. Cela améliore notre productivité et augmente notre production ou nous permet d’économiser du temps.

Pour les consommateurs, le commerce se traduit par une offre plus variée et une baisse des prix, cette dernière n’étant, en termes réels, rien d’autre qu’un revenu plus élevé et donc une prospérité accrue.

Le vent du changement ouvrit dans les années quatre-vingt-dix les portes des économies d’Europe centrale et orientale au commerce international. À la même époque, le marché intérieur européen entra en vigueur, l’Accord de libre-échange nord-américain fut conclu et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a démarré ses activités.

Surtout, de plus en plus de pays émergeants ont été de plus en plus étroitement intégrés dans l’économie mondiale. Dans la décennie de 1990 à 2000, le volume des échanges internationaux de biens et de services a doublé et la performance économique mondiale s’est accrue d’un tiers.

Aujourd’hui, il est tout à fait normal que nous utilisions des smartphones, des logiciels et des vêtements produits à l’étranger, que nous voyagions dans d’autres pays et que les jeunes étudient à l’étranger.

3 Les effets macroéconomiques des droits de douane

Et pourtant nous sommes aussi exposés depuis deux ans à un vent de face. Les droits de douane sont considérés de nouveau comme un instrument permettant prétendument de protéger ou même d’augmenter la prospérité.

Je pense que c’est une illusion. Déjà l’an dernier, la Bundesbank avait publié des calculs sur modèle macroéconomiques qui montrent qu’une guerre commerciale ne connaît que des perdants.[2]

L’instauration d’un droit de douane a un effet similaire à un choc de l’offre ou de coûts. En fin de compte, les consommateurs paient la facture – sous forme d’une hausse des prix. Cela vaut en premier lieu pour le pays qui instaure les droits de douane. Nos simulations sur modèle montrent cependant aussi à quel point une vaste guerre commerciale pèserait sur l’ensemble de l’économie mondiale.

Souvent, une guerre commerciale est comparée pour les parties directement concernées au dilemme du prisonnier dans la théorie des jeux : quand la partie adverse instaure des droits de douane, on pense devoir répliquer afin de limiter ses propres pertes. Mais en fin de compte cette situation ne profite à personne. Cela vaut aussi en ce qui concerne des restrictions à la circulation des capitaux.

Et même si cette analogie de la théorie des jeux est un peu juste dans le monde réel, Rick Grimes, un des protagonistes dans la série télévisée « The Walking Dead », a raison lorsqu’il déclare que « nous survivons en travaillant ensemble et non pas l’un contre l’autre. »

4 Perspectives de croissance mondiales

Actuellement, différentes institutions ajustent leurs prévisions de croissance pour de nombreux pays à la baisse et renvoient souvent, dans ce contexte, au spectre de l’incertitude due aux litiges commerciaux.

Heureusement, il ne suffit pas d’une incertitude pour déstabiliser le développement de l’économie mondiale. Dans son Rapport mensuel, la Bundesbank a récemment examiné de plus près les effets macroéconomiques de l’incertitude.[[3]

Il en ressort que lors de la crise financière mondiale il y a dix ans, l’incertitude a en effet sensiblement pesé sur l’activité économique. En revanche, aucune influence négative n’a pu être décelée pour les dernières années. Le rapport entre incertitude et économie réelle n’est pas aussi étroit qu’on ne le suppose souvent.

Dans de nombreux entretiens avec des entrepreneurs, le haut niveau d’incertitude est mentionné pour expliquer la réticence en matière d’investissements. Au niveau macroéconomique, notre étude parvient à la conclusion que tout dépend de la mesure pertinente : en particulier l’incertitude politique ne paraît avoir qu’une faible valeur explicative.

Cela est confirmé par le fait que la conjoncture mondiale a plutôt bien résisté à un certain nombre de remous – par exemple le référendum sur le Brexit et différentes turbulences politiques aux États-Unis, en Europe et ailleurs. Selon les estimations du FMI, l’économie mondiale devrait enregistrer cette année et l’année prochaine une croissance tout aussi forte qu’en 2017. Mais de plus en plus de personnes ont exprimé la crainte que les risques pour la croissance mondiale aient augmenté ces dernières semaines. Je ne voudrais pas mêler ma voix à ce chœur de pessimistes. En effet, il y a sans conteste également des évolutions positives.

Le fait que les problèmes en Argentine et en Turquie ne se sont pas étendus sur d’autres pays constitue un point important. Et le danger d’une vaste escalade du conflit commercial a plutôt diminué ces derniers temps.

Les États-Unis sont convenus avec leurs voisins, le Mexique et le Canada, d’un accord de libre-échange remanié, et des négociations avec l’UE sur la suppression d’entraves aux échanges sont prévues. Les récents efforts visant à réformer l’OMC sont également un bon signe.[4]

La confrontation entre les États-Unis et la Chine persiste toutefois. Un accord incluant des questions relatives à l’ouverture des marchés et à la protection de la propriété intellectuelle pourrait non seulement dissiper de nombreux soucis, mais aussi signifier une véritable avancée.

5  Les défis de politique économique

Mesdames, Messieurs,

un proverbe chinois dit : « Quand souffle le vent du changement, certains construisent des murs, d'autres des moulins ».

En ce sens, il convient de ne pas uniquement conclure des accords bilatéraux, mais de poursuivre le développement du système de commerce multilatéral et basé sur des règles.

Mais il est aussi vrai que le commerce international déplace les possibilités d’emploi et les salaires relatifs ; il connaît des gagnants et des perdants. Des études montrent qu’en particulier l’ouverture vis-à-vis de la Chine a entraîné une forte réduction d’emplois dans l’industrie manufacturière des États-Unis. Les marchés du travail locaux ne se sont adaptés que lentement et le revenu gagné pendant la vie active des salariés concernés a sensiblement reculé.[5]

Des courants populistes ont profité du fait que la politique économique n’a pas suffisamment tenu compte de tels effets. Et le progrès technologique déploie lui aussi des effets similaires. L’économie dans son ensemble profite, mais des individus, des pans entiers de la population, ou encore des régions, risquent de rester à la traîne.

Il s’agit là d’un défi pour de nombreux domaines politiques. Une politique de distribution peut atténuer des pertes de revenus. Mais cela n’est pas suffisant. Il convient surtout de donner aux citoyens les moyens pour saisir eux-mêmes les opportunités offertes par le changement.

Il est essentiel de créer, notamment par le biais de la formation, les conditions nécessaires et de permettre une vive concurrence dans la recherche de nouvelles idées. En particulier dans le contexte de la digitalisation, nous devons non seulement moderniser l’infrastructure, mais assurer également des structures concurrentielles.

6 La normalisation en matière de politique monétaire

Mesdames, Messieurs,

soutenir la « construction de moulins » incombe à la politique et non pas aux banques centrales. L’unique tâche de l’Eurosystème est d’assurer la stabilité des prix. Selon les prévisions des services de la BCE du mois de septembre, le taux d’inflation dans la zone euro devrait atteindre cette année et les deux années suivantes 1,7 %.

Cela correspond en gros à ma définition de la stabilité des prix à moyen terme. Le Conseil des gouverneurs de la BCE a par conséquent prévu de cesser les achats nets de titres à la fin de l’année. Mais cela n’est qu’un premier pas vers une normalisation graduelle de la politique monétaire. Les prochaines étapes dépendent de l’évolution des données.

Dernièrement, les données conjoncturelles de la zone euro et de l’Allemagne n’étaient plus aussi favorables qu’auparavant. Ce matin même, un léger recul de la performance économique allemande au troisième trimestre a été annoncé.

Cela est principalement dû à une forte baisse de la production automobile. Les fabricants rencontrent des difficultés avec la certification de véhicules selon la nouvelle procédure d'essai des émissions WLTP.

Les fluctuations des chiffres vers le haut ou vers le bas ne doivent pas occulter le fait que la reprise économique en Allemagne et dans la zone euro demeure intacte. Le rythme s’est certes ralenti, mais cela est aussi un signe de l’utilisation accrue des capacités et d’une pénurie de plus en plus importante sur le marché du travail. L’Allemagne, en particulier, souffre plutôt d’un manque de main d’œuvre qualifiée que d’une faible demande.

C’est pourquoi je tiens à ce que nous ne perdions pas inutilement de temps sur le long chemin du retour à la normale en matière de politique monétaire. Nous ne devons pas prendre à la légère les risques et les effets secondaires de cette politique monétaire ultra-laxiste.

Parmi les problèmes figurent des risques pour la stabilité financière, mais aussi par exemple les « zombies » parmi les entreprises. Ainsi, une étude récente de la BRI parvient à la conclusion que le nombre d’entreprises financièrement fragiles a considérablement augmenté depuis la fin des années 1980. En effet, la pression financière sur les entreprises qui devraient en fait se retirer du marché a diminué – entre autres en raison de la baisse des taux d’intérêt.[6]

Heureusement, nous ne vivons pas dans le monde apocalyptique de « The Walking Dead ». Mais la propagation d’entreprises zombies nuit à l’évolution de la productivité, ce qui freine le potentiel de croissance et signifie que l’économie doit affronter des vents de face.

7 Un besoin d’agir en matière de politique budgétaire

En période de taux d’intérêt bas, les gouvernements peuvent emprunter plus aisément. Dans la mesure où les primes de risque sont comprimées, ce sont précisément les États qui autrement feraient preuve à juste titre de plus de retenue parce que la viabilité de leurs finances est considérée comme étant critique qui en tirent un avantage.

Par ailleurs, on parvient de plus en plus à la conclusion que lors d’un nouveau ralentissement de l'activité économique, la marge de manœuvre de la politique monétaire devrait être limitée. La tâche de la stabilisation macroéconomique incombera donc davantage qu’auparavant à la politique budgétaire.

Actuellement, dans une phase de reprise économique robuste, le moment n’est pas opportun de lâcher les rênes budgétaires dans la zone euro. Les pays de la zone euro devraient plutôt continuer de réduire leur niveau d’endettement toujours élevé. Cela vaut en particulier pour les pays qui doivent supporter une charge particulièrement lourde, comme l’Italie.

Il est absolument légitime qu’un nouveau gouvernement veuille définir de nouvelles priorités politiques. Mais lorsque celles-ci sont liées à des dépenses supplémentaires, il serait judicieux de réduire d’autres dépenses ou d’augmenter les recettes. Il ne doit être renoncé à la nécessaire réduction de la dette.

Le problème n’est pas uniquement que des violations persistantes des règles budgétaires européennes minent l’effet contraignant de ces dernières.

Je ne partage pas non plus le point de vue que des problèmes de croissance peuvent être résolus au moyen de nouvelles dettes et qu’un endettement élevé ne pose pas de problèmes. Ceci n’est pas un jugement moral, même si en Allemand le mot « Schuld » a une double signification, à savoir « dette » et « faute ». Les dettes constituent pour moi une catégorie économique : elles décrivent le volume des engagements financiers qui plus tard devront être remboursés avec des intérêts.

Pour une union monétaire, avec une politique monétaire commune et 19 politiques budgétaires nationales, s’ajoute un point essentiel, à savoir qu’elle ne peut être une union de stabilité que si ses États membres mènent des politiques budgétaires saines.

8 Conclusion

Mesdames, Messieurs,

non seulement la politique économique, mais aussi chaque individu doit se montrer ouvert face aux changements. Mark Twain aurait affirmé que ce n’était pas le progrès qu’il contestait, mais le changement.

Où resteraient les inventions, les découvertes et les succès si tout se déroulait à l’intérieur de frontières sûres et tracées au préalable ? Dans ce sens, l’incertitude n’est pas une boisson diabolique, mais peut-être plutôt un élixir de vie.

Ces champions qui se présenteront tout à l’heure sont des exemples positifs et plastiques de la capacité d’individus à générer de la croissance grâce à leur esprit d’entrepreneur et d’inventeur.

Je vous remercie de votre attention. Et maintenant j’attends avec impatience vos questions.


Notes de bas de page

  1. Cf. C. Wheelan (2010), Naked Economics – Undressing the Dismal Science, W. W. Norton & Company, New York.
  2. Cf. Deutsche Bundesbank, Zur Gefahr protektionistischer Tendenzen für die Weltwirtschaft, Rapport mensuel, juillet 2017, p. 79-95.
  3. Cf. Deutsche Bundesbank, Gesamtwirtschaftliche Auswirkungen von Unsicherheit, Rapport mensuel, octobre 2018, p. 49-65.
  4. Cf. Commission européenne, WTO modernisation, document de réflexion, septembre 2018, ainsi que OMC, FMI et Banque mondiale, Reinvigorating Trade and Inclusive Growth, rapport, septembre 2018.
  5. Cf. D. H. Autor, D. Dorn et G. H. Hanson (2016), The China Shock: Learning from Labour-Market Adjustment to Large Changes in Trade, Annual Review of Economics, vol. 8, p. 205-240.
  6. Cf. R. Banerjee et B. Hoffmann, The rise of zombie firms: causes and consequences, BIS Quarterly Review, septembre 2018, p. 67-77.