La totalité est plus que la somme des parties Discours à l’occasion de la cérémonie du changement à la présidence de l’administration régionale de la Bundesbank en Rhénanie-du-Nord-Westphalie

1 Paroles de bienvenue

Mesdames, Messieurs,

je suis très heureux de vous accueillir à la cérémonie à l’occasion du changement à la présidence de l’administration régionale de la Bundesbank en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Heureusement, nous avons désormais appris à participer également de manière virtuelle à un tel événement. Ainsi, nous sommes nombreux à nous être réunis pour faire nos adieux à Mme Müller et pour accueillir M. Metzger. Je souhaite la bienvenue à vous tous – sur place à Düsseldorf et devant les écrans.

« La totalité est plus que la somme des parties ». Avec cette phrase, Margarete Müller a un jour souligné devant ses collègues ici, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, à quel point une bonne coopération était importante.

L’importance d’une bonne coopération est aussi une vérité de base des sciences économiques. Adam Smith, dans son œuvre « La richesse des nations », avait commencé par une description des avantages de la division du travail à partir de l’exemple d’une manufacture d’épingles.[1] Dans cette manufacture, les ouvriers se spécialisèrent dans des opérations particulières. Ils purent ainsi fabriquer dans la somme beaucoup plus d’épingles qu’ils n’auraient pu le faire s’ils avaient travaillé à part et indépendamment les uns des autres.

Aujourd’hui, l’industrie est spécialisée à l’échelle mondiale et interconnectée par des chaînes d’approvisionnement. Nous sommes actuellement en train de vivre les conséquences que peuvent entraîner des perturbations dans ce système : la croissance économique est freinée, et l’inflation progresse.

Je reviendrai plus tard sur le développement actuel de l’économie en Allemagne, les perspectives en matière de prix et la politique monétaire dans la zone euro. Mais mon discours porte principalement sur le changement à la présidence de cette administration régionale.

2 Margarete Müller

Chère Mme Müller, vous avez été pendant 39 ans au service de la Bundesbank avec cœur et âme. Auparavant, vous aviez suivi une formation d’employée de banque auprès de la Kreissparkasse à Heinsberg, pour ensuite étudier les sciences économiques à l’université de Wuppertal et, en en vous engageant à la Dresdner Bank, vous avez aussi acquis des expériences avec le fonctionnement d’un établissement privé.

Mais vous avez par la suite opté pour la Bundesbank, et vous nous avez rejoint en septembre 1982 en tant que fonctionnaire stagiaire à Düsseldorf. Vous êtes restée fidèle à votre terre d’origine, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, pendant une grande partie de votre carrière professionnelle à la Bundesbank. Ici, dans cette région, vous avez acquis de nombreuses expériences dans différentes fonctions. Vous avez accompagné l’introduction de nouvelles machines de tri des billets dans les succursales, étiez responsable de l’organisation du travail en équipes et avez contribué à organiser l'union monétaire intra-allemande, tout comme l’introduction des billets et des pièces en euros. Avec de véritables tournées de présentation, vous avez acquis des entreprises pour des analyses de solvabilité – déjà en tant que responsable de succursale – et plus tard aussi en tant que directrice de la division Analyse de solvabilité et titres à Düsseldorf.

Que ce soit dans les succursales ou au sein de l’administration régionale – vous avez cherché et trouvé des solutions pour y optimiser les processus internes : à Mönchengladbach, Moers, Aix-la-Chapelle et Düsseldorf. Vous étiez par la suite pendant deux ans responsable de l’ensemble de la gestion interne et de succursale de l’administration régionale à Francfort-sur-le-Main. Ces étapes de votre parcours professionnel ont certainement renforcé votre engagement particulier en faveur des succursales de la Bundesbank. Ce sont finalement nos succursales qui remplissent la tâche importante d’alimenter les banques et l’économie en espèces. C’est ainsi que la Bundesbank assure qu’à tout moment, de l’argent liquide en quantité suffisante et de grande qualité est disponible en Allemagne.

Il y a huit ans, vous avez été nommée à la présidence de l’administration régionale en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. À peine après avoir pris vos fonctions, la supervision bancaire européenne fut établie. Cette création fut une des réponses essentielles à la crise financière et à la crise de la dette souveraine. Certaines banques européennes ne furent pas en mesure de supporter les pertes engendrées. Leur insolvabilité aurait eu de graves conséquences économiques dans leurs pays. C’est pourquoi des banques ont été soutenues ou même sauvées par leurs États. Cela a pesé sur les finances publiques et ainsi sur les contribuables.

Cette situation ne doit plus se reproduire. La surveillance européenne des banques importantes doit entre autres assurer que les mêmes normes élevées sont appliquées dans tous les États membres. De plus, les exigences en matière de fonds propres ont été augmentées, et des régimes spéciaux pour les résolutions des défaillances bancaires ont été créés. Cela est allé de pair avec de nombreux changements en matière de surveillance des établissements moins importants, qui est assurée sur place par les administrations régionales. En outre, plusieurs surveillants bancaires ont quitté leur poste à la Bundesbank pour joindre la Banque centrale européenne (BCE). Cela s’est fait avec votre accord, chère Mme Müller, car vous aviez toujours à cœur l’évolution personnelle et professionnelle de vos collègues – ainsi que l’échange entre institutions. Vous avez également surmonté avec beaucoup de détermination d’autres défis concernant la transformation de la surveillance.

Parallèlement, un autre projet de grande envergure a requis votre attention particulière : la nouvelle succursale à Dortmund. Celle-ci est non seulement un édifice impressionnant et complexe qui offre des postes de travail modernes pour les agents. Elle représente surtout un engagement clair de la Bundesbank en faveur de la monnaie fiduciaire.

Cet engagement n’est pas non plus remis en cause par les travaux portant sur un euro numérique. Comme vous le savez peut-être, l'Eurosystème a, le mois dernier, lancé la phase d’étude d’un projet d’euro numérique.[2] L'euro numérique pourrait contribuer à abaisser les frais de transactions, à rendre les opérations de paiement plus efficaces et à inciter le développement de services innovants. Une chose est parfaitement claire : il n’est pas destiné à remplacer, mais uniquement à compléter la monnaie fiduciaire. La Bundesbank continuera à mettre à disposition des billets de banque aussi longtemps que les citoyens en Allemagne le souhaiteront.

Le fait que ce soit vous, chère Mme Müller, qui a accompagné et fait avancer le projet de la nouvelle succursale à Dortmund, a été une véritable chance pour la Bundesbank. En même temps, les cinq succursales qui existaient dans la région Rhin-Ruhr ont dû être fermées. Vous avez réussi, avec votre style de direction ouvert et affable, à accompagner ce profond changement pour les agents avec empathie et soutien. Vous avez ainsi contribué à ce que tout au long de la phase de transition longue et en partie tendue, l’approvisionnement en monnaie fiduciaire a toujours été assuré dans sa qualité réputée et élevée et que les autres tâches des succursales ont été remplies sans problèmes.

Les besoins des agents ont toujours été une priorité pour vous – lors des changements liés aux fermetures de succursales, tout comme lors de la conception des postes de travail dans la nouvelle succursale à Dortmund. Et c’est largement grâce à vous que les différents secteurs de la banque impliqués dans le projet coopèrent bien ensemble.

Dans votre première lettre de Noël en qualité de présidente de l’administration régionale, vous avez écrit la phrase suivante : « Je suis persuadée que le respect mutuel et la cohésion nous font avancer. » Et vous avez consacré beaucoup d’efforts à ce propos. À différentes occasions, vous avez réuni des agents de l’administration régionale et des services spécialisés établis ici au siège central. Vous avez également invité régulièrement à un petit déjeuner en cercle restreint pour vous échanger et prendre connaissance. « Dix à dix heures » fut le nom de ces réunions. Par ailleurs, la journée portes ouvertes il y a cinq ans ici à Düsseldorf a non seulement attiré plus de 6000 citoyens. Elle a aussi renforcé l’esprit d’équipe des agents de la Bundesbank.

Force est de constater qu’un esprit particulier semble s’être développé sous votre direction. Par exemple, les collègues de différentes succursales se soutiennent les uns les autres tout naturellement dès lors qu’il y a des pénuries à un endroit. Cet esprit particulier se manifeste aussi dans une revue qui vient de paraître. Elle a été créée à votre initiative. Et elle est consacrée au thème des adieux et du départ. Par cette voie, vous voulez renforcer vos remerciements aux agents des succursales qui ont été fermées – et à tous les collègues qui ont participé au projet de la nouvelle succursale à Dortmund. Le titre de la revue est synonyme pour un programme – pour la région et surtout pour votre conception de direction. Elle porte le titre suivant : « NOUS ». Il est expression de cet esprit qui règne ici en Rhénanie-du-Nord-Westphalie sous votre direction, à savoir l’esprit d’équipe.

Votre approche est aussi un exemple pour le changement dans l’ensemble de la Bundesbank. Ainsi, la Banque a beaucoup mis en œuvre au cours des dernières années pour renforcer la cohésion – entre autres avec un nouveau concept de direction. Ensemble, nous avons réussi à ancrer une culture d’ouverture et de dialogue dans toute la Bundesbank. Cela nous aide à exploiter les synergies entre les différents secteurs et, en fin de compte, à mieux remplir nos importantes tâches publiques. Les enquêtes auprès des agents ont montré que les collègues peuvent vraiment ressentir ces changements intervenus au cours des dix dernières années. Respect et échange ouvert marquent de plus en plus le quotidien dans la Banque.

Il existe un second aspect de notre culture d’ouverture : la transparence vers l’extérieur. Elle découle du rôle particulier d’une banque centrale indépendante au sein d’une démocratie. Une banque centrale indépendante dont on ne veut pas qu’elle soit un État dans l’État, doit rendre compte de ses actions au public. Par ailleurs, une bonne communication et le respect de la transparence facilitent à une banque centrale à fournir une orientation aux consommateurs, aux entreprises et aux marchés. Plus les acteurs de l’économie adaptent leurs attentes de manière adéquate, moins la politique monétaire doit intervenir. Ben Bernanke, l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, a décrit la situation comme suit : la politique monétaire consisterait à 98 pour cent en débats et uniquement à 2 pour cent en actions.[3]

Dans notre communication vers l’extérieur, la formation économique joue un rôle essentiel. Chère Mme Müller, en tant qu’ambassadrice très engagée et extrêmement bien interconnectée de la Bundesbank, vous vous êtes toujours investie en faveur de la formation économique. Lors de nombreux événements publics (« Forum Bundesbank ») ici à Düsseldorf ainsi que dans les succursales, vous avez expliqué aux citoyens l’importance de la stabilité des prix, mais aussi des décisions très actuelles de l’Eurosystème, comme celles prises en ce qui concerne la stratégie de politique monétaire. Et vous avez promu à d’autres occasions le dialogue entre la Bundesbank et des représentants de banques, d’entreprises et d’associations.

La conjoncture actuelle, l’évolution des prix et la politique monétaire furent régulièrement à l’ordre du jour. Avec la pandémie et les distorsions économiques qu’elle a causées, ces sujets sont réapparus avec force dans l’attention du public. Et beaucoup de personnes se soucient du taux d’inflation actuellement si élevé.

3 La conjoncture actuelle

Dans l’introduction de mon discours, j’ai déjà parlé de la division du travail dans l’industrie et de son réseau global de chaînes d’approvisionnement. Tout comme une horloge, le système dépend du bon timing. Les matières premières et les biens intermédiaires doivent être livrés au moment précis où on en a besoin dans la production: « just in time », lorsque la demande est là.

Effectivement, la demande s’est vite remise de son effondrement au début de la crise pandémique. Déjà à la fin de l’année 2020, la production industrielle globale et le commerce mondial ont retrouvé leur niveau d’avant-crise et le surpassent nettement aujourd'hui. En effet, de nombreux ménages ont réorienté leurs dépenses en raison de la pandémie. Par moments, ils n’ont pas pu faire appel à certains services, ou cela n’était possible que de manière restreinte. Au lieu de cela, les ménages ont acheté davantage de biens. La reprise rapide et vigoureuse de la demande n’aurait toutefois pas été possible sans aide, à savoir un soutien massif de la part des politiques budgétaire et monétaire.

Au total, la demande a même augmenté de manière si rapide que depuis le début de l'année, la production industrielle n’a pas pu suivre la demande. Les entreprises touchent à leurs limites : des pénuries et des délais de livraison importants pèsent sur l’industrie, en particulier en ce qui concerne les semi-conducteurs. Des problèmes du côté de l’offre y contribuent également. Par exemple, en raison de la pandémie, des chaînes de production sont à l’arrêt, et le transport de marchandises est en partie bloqué. Les rouages de l’horloge ne s’imbriquent plus comme avant.

L’état de congestion des ports californiens est une bonne illustration de ces problèmes. En général, 20 porte-conteneurs y attendent pour être déchargés. Mais début novembre, plus de 100 navires, avec environ 250.000 conteneurs à bord, y étaient en attente. La situation dans les ports était tellement tendue que le Président des États-Unis aurait envisagé de déployer la garde nationale afin d’accélérer les opérations.[4]

Ce sont surtout les diverses pénuries qui pèsent sur l’industrie allemande. Depuis le début de l’année, le fossé se creuse de plus en plus entre les carnets de commande bien remplis et la production industrielle ralentie. Un tel fossé n’a plus été constaté depuis 1981. Par conséquent, la performance macroéconomique s’est actuellement fortement ralentie. Malgré cela, l’économie allemande a pu dans l'ensemble enregistrer une forte croissance au printemps et en été – respectivement de près de 2 pour cent par rapport au trimestre précédent. Cette poussée a été principalement portée par le secteur des services. Les mesures de protection contre le coronavirus ayant été assouplies, des secteurs tels que l’hôtellerie et la restauration ont de nouveau pu accueillir leurs clients.

En revanche, l’économie allemande pourrait stagner au cours de ce trimestre. En effet, la forte poussée de croissance résultant de l’ouverture des domaines de services a déjà régressé. En même temps, les problèmes dans l’industrie persistent plus longtemps que prévu. C’est pourquoi la performance économique n’atteindra probablement pas encore dans le trimestre en cours son niveau d’avant-crise. En moyenne de l’année 2021, la croissance économique en Allemagne devrait être nettement inférieure à notre pronostic de juin.

Compte tenu des carnets de commande bien remplis, une reprise plus vigoureuse ne devrait cependant qu’être repoussée. Dès que les rouages fonctionneront de nouveau, la production industrielle pourra être relancée. Il est toutefois actuellement difficile à évaluer quand les pénuries d’approvisionnement disparaîtront, et cela constitue un facteur d’incertitude important.

De plus, les perspectives dépendent toujours de l’évolution de la pandémie. Nous sommes en ce moment en plein dans la quatrième vague d’infections. La situation actuelle devrait aussi avoir un impact sur l’économie – par exemple en raison de nouvelles mesures de protection contre la pandémie. Grâce aux progrès réalisés entre autres au niveau des vaccinations, de telles mesures de protection freineront moins l'économie que lors des vagues d’infections précédentes.

4 Perspectives en matière de prix

Alors que la croissance a ralenti au cours des derniers mois, le taux d'inflation en Allemagne a continué de progresser. Le taux actuellement élevé est toutefois également imputable à des facteurs exceptionnels. Rien que le retour aux taux de TVA plus élevés augmente actuellement le taux d'inflation de 1¼ points de pourcentage. À cela s’ajoute l’introduction de certificats d’émissions de CO2 dans différents secteurs ainsi que la remontée du prix du pétrole à partir d’un niveau très bas l’année précédente.

C’est une des raisons pour lesquelles j’ai déjà attiré depuis le printemps l’attention sur des taux d'inflation qui étaient plus élevés vers la fin de l’année précédente.[5] Mais le taux d'inflation a augmenté encore plus fortement que ne l’avaient prévu nos experts dans leurs pronostics de juin. Mesuré par rapport à l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), l’inflation en Allemagne s’est établie en octobre à 4,6 pour cent et était par conséquent plus d’un point de pourcentage supérieur au taux prévu en juin. Cette évolution est essentiellement due à trois facteurs :

tout d’abord, les pénuries d’offre persistantes dans l’industrie ont joué un grand rôle également dans le contexte de l’inflation. En effet, les hausses des notations des matières premières, des coûts de transport des marchandises et des prix pour des produits intermédiaires se répercutent sur les prix à la consommation.

Ensuite, l’ouverture de l'économie contribue à des taux d'inflation plus élevés. Ainsi, les prix dans certains secteurs de services, comme les loisirs et les transports, ont été sensiblement augmentés.

Finalement, les notations du pétrole brut et du gaz naturel ont enregistré une forte hausse. Vous avez certainement constaté les prix plus élevés en faisant le plein de carburant. En revanche, la hausse des prix du gaz ne se fera sentir qu’avec un certain retard.

Une chose est claire : les hausses actuelles des prix diminuent considérablement le pouvoir d'achat. Et les gens sont inquiets – en Allemagne, mais aussi dans d’autres pays de la zone euro.

Mais il convient aussi de prendre en compte le fait que la forte pression sur les prix en Allemagne devrait de nouveau diminuer selon nos estimations. Car l’influence de facteurs exceptionnels comme l’effet de la TVA prendra de toute manière fin l'année prochaine. En plus, les pénuries d’offre devraient se dissiper avec le temps. Et la forte demande suite à l’assouplissement des mesures de protection contre le coronavirus devrait également diminuer.

Actuellement, nos experts prévoient que le taux d’inflation en Allemagne culminera à près de 6 pour cent au cours de ce mois et qu’il se réduira par la suite. Selon leur avis, les hausses de prix inattendues observées ces derniers mois auraient cependant pour conséquence que le taux d’inflation ne retombera probablement qu’à la fin de l’année prochaine en dessous de 3 pour cent.

Par ailleurs, les sous-estimations répétées du taux d'inflation dans les pronostics montrent clairement à quel point les perspectives de l’évolution des prix sont actuellement incertaines. Nous n’avons pas connu depuis des décennies de telles hausses de prix comme celles que nous vivons actuellement. Nos analyses et modèles sont toutefois calibrés sur des contextes historiques dans un environnement de taux d'inflation plutôt bas. Leur pertinence pourrait donc actuellement être réduite.

Il existe certainement aussi des risques à la baisse en ce qui concerne les perspectives des prix en Allemagne et dans la zone euro. À mon avis, ce sont néanmoins clairement les risques à la hausse qui prévalent, et ils prédominent encore davantage ces derniers temps. Je voudrais souligner trois risques à la hausse :

premièrement : au cours de la pandémie, les ménages ont en partie renoncé à consommer et constitué une épargne supplémentaire. Maintenant, ils voudraient peut-être rattraper leur consommation. Rien que pour l’Allemagne, nos experts estiment l’épargne supplémentaire réalisée au cours des deux dernières années à environ 200 milliards d’euros. Dans ce contexte, la consommation accumulée pourrait être rattrapée plus fortement que prévu et fournir aux entreprises davantage de marge pour augmenter leurs prix.[6]

Deuxièmement, il pourrait durer plus longtemps jusqu’à ce que les pénuries d’approvisionnement disparaissent et que la pression sur les prix en amont de la chaîne de production diminue.

Et troisièmement, une hausse des prix initialement temporaire pourrait s’établir dans la durée si les anticipations d'inflation ou la croissance des salaires augmentent. Les deux facteurs – des anticipations d’inflation plus élevées et des hausses des salaires plus fortes – pourraient alors se renforcer mutuellement. Et plus une telle hausse des prix dure, plus il semble probable que de tels effets secondaires se déclenchent. Ainsi, l’ancien Chef économiste de la BCE, Otmar Issing, met en garde contre le fait qu’avec un dépassement prolongé de l’objectif d’inflation, l’incertitude augmente et que les anticipations en matière de taux d'inflation pourraient changer.[7]

Jusqu’à présent, en Allemagne, nous ne voyons aucun signe que la pression salariale générale s’intensifie d’une manière significative. Mais entre-temps, les plaintes des entreprises relatives à la pénurie de main d’œuvre se sont considérablement accrues – surtout en Allemagne, mais aussi chez nos voisins européens. À terme, de telles tensions sur les marchés du travail devraient renforcer la position des salariés et des syndicats en vue d’obtenir une hausse notable des salaires.

Les anticipations d’inflation à court terme ont déjà fortement augmenté. Et cela ne vaut pas uniquement pour les anticipations des ménages et des entreprises en Allemagne, mais aussi – dans le contexte de l’évolution des prix dans la zone euro – pour les anticipations des experts et des acteurs des marchés financiers. Actuellement, des indicateurs basés sur les marchés (les swaps d’inflation) indiquent un taux d'inflation d’environ 3 pour cent pour la zone euro dans la moyenne de l’année 2022. En janvier de l’année courante, ce taux d’inflation à terme était tout juste d’un pour cent. Les anticipations d’inflation à plus long terme basées sur les marchés ont également augmenté considérablement, mais avec moins de vigueur. Pour la première fois depuis 2014, elles ont de nouveau atteint un niveau de près de 2 pour cent.

Dans le passé, ces indicateurs basés sur les marchés étaient par moments très bas. Tout comme je l’ai fait à l’époque, je conseille aussi aujourd'hui de ne pas les prendre comme valeur nominale.[8] En effet, ces indicateurs reflètent aussi les préférences et le comportement de placement des acteurs des marchés. Dans la situation présente, ces derniers se prémunissent contre le risque d’une inflation élevée. C’est pourquoi les indicateurs basés sur les marchés devraient légèrement exagérer les anticipations d’inflation.

Toutefois, les anticipations d’inflation à long terme établies par des experts ont elles aussi, selon des sondages, légèrement augmenté vers un niveau de 2 pour cent. Le fait que les anticipations d’inflation se rapprochent de notre taux cible à moyen terme est en principe un message bien accueilli du point de vue de la politique monétaire. Notre nouvelle stratégie de politique monétaire, avec sa symétrie claire, veut créer de tels effets.

Tout compte fait, il se pourrait bien que le taux d’inflation à moyen terme dans la zone euro ne retombe plus en dessous de 2 pour cent. Par conséquent, la politique monétaire ne devrait pas se contenter de porter son regard sur un taux d'inflation trop bas, mais aussi prendre en compte la persistance d’un taux d'inflation trop élevé.

5 Politique monétaire

Il convient en outre de ne pas faire durer indéfiniment le mode de pandémie actuel de la politique monétaire. Les mesures d’urgence sont à juste titre étroitement liées à la pandémie et devront prendre fin dès que la situation d’urgence sera surmontée. À mon avis, cela implique aussi de ne pas reporter la flexibilité accrue du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP) sur d’autres programmes. La conception flexible de ce programme a été une réponse spécifique du Conseil des gouverneurs de la BCE aux problèmes particuliers de la pandémie. Cette flexibilité devrait être réservée à des situations extraordinaires. Autrement, la politique monétaire risque de se retrouver dans le sillage de la politique budgétaire et des marchés financiers.

L’orientation générale de la politique monétaire doit être vue sous un aspect différent des mesures d’urgence. Pour l’orientation générale, la question essentielle est de savoir combien de temps les taux d’inflation élevés persisteront dans la zone euro.

Compte tenu de l’incertitude exceptionnellement élevée portant sur les perspectives en matière de prix, je considère que la politique monétaire ne devrait pas trop longtemps s’engager à poursuivre sa politique actuelle très expansionniste. En effet, une chose doit être claire : si cela est nécessaire pour préserver la stabilité des prix, la politique monétaire dans son ensemble doit être normalisée. Cela devrait en fin de compte également inclure une diminution des stocks élevés de titres.

Les décisions en matière de politique monétaire sont toujours prises à partir de facteurs d’incertitude. C’est pourquoi les discussions tournent en partie autour des aspects de la gestion des risques. Dans ce contexte, il s’agit de la question de savoir quelle serait la gravité des effets d’une décision qui s’avérerait – à posteriori – erronée. Certains considèrent qu’un maintien de l’orientation très expansionniste de la politique monétaire plus longtemps que nécessaire serait le moindre risque. Les banques centrales devraient éliminer le risque que les taux d’inflation se maintiennent durablement à un niveau trop bas. La politique monétaire ne devrait donc en aucun cas être normalisée trop tôt. Si les banques centrales devaient plus tard quand même resserrer la politique monétaire, même si cela devait se faire de manière d’autant plus brusque, les coûts économiques ne seraient pas aussi élevés.

Cette conclusion ne me convainc pas. Les taux d’intérêt sont depuis longtemps à un niveau très bas. Les entreprises, les ménages et les États se sont davantage endettés, et le système financier est devenu plus vulnérable vis-à-vis des variations des taux d’intérêt.[9] Une augmentation abrupte et prononcée des taux d’intérêt pourrait entraîner des problèmes dans le système financier, ce qui pourrait également nuire à l'économie et compromettre la stabilité des prix. Ce risque doit lui aussi être pris en considération dans l’appréciation générale.

Toutefois, une normalisation graduelle et en temps opportun de la politique monétaire ne devrait guère non plus être appréciée – ni par les marchés financiers ni par les États. Après tout, leurs coûts de financement sont influencés par la politique monétaire. Mais les banques centrales ne doivent pas se laisser impressionner par la pression extérieure. Pour ne pas susciter des attentes erronées, elles devraient dès à présent clairement communiquer qu’elles assureront la stabilité des prix même si cela entraîne des conflits avec les objectifs d’autres domaines politiques. C’est précisément pour ce cas que l’indépendance a été accordée aux banques centrales.

6 Conclusion

Parler d’une voix claire au nom de la Bundesbank en Rhénanie-du-Nord-Westphalie – c’est ce que vous avez réussi, chère Mme Müller. Je vous remercie – également au nom du Directoire – très chaleureusement pour les presque 40 années au service de la Bundesbank et d’une monnaie stable. Je sais qu’il ne vous est pas facile de prendre congé, mais que vous vous réjouissez aussi d’entamer une nouvelle étape de votre vie.

« À 66 ans, la vie commence», avez-vous dit vous-même récemment. Alors que le chanteur Udo Jürgens pensa à faire de la moto, de se vêtir en cuir et de jouer dans un groupe de jazz, votre regard se porte plutôt sur la famille et les voyages. Les deux ont parfois été négligés au cours des dernières années. Je vous souhaite pour cette nouvelle étape de votre vie la satisfaction que vous aviez déjà trouvée dans votre métier. Et je suis persuadé que le « Nous » restera une de vos priorités.

Vous remettez à votre successeur, M. Metzger, une administration régionale marquée par un esprit particulier. Un réseau finement tissé s’étend autour de cette administration régionale avec ses trois succursales. Le relai est parfaitement préparé.

Mesdames et Messieurs, beaucoup d’entre vous connaissent déjà très bien M. Metzger. Vous avez appris à le connaître comme un banquier central chevronné et fort d’une grande expérience, surtout dans le domaine des opérations de paiement et du traitement de ces opérations. Au cours des dernières années, il s’est engagé avec entrain en faveur du développement technique et des innovations, comme la technologie de la chaîne de blocs. Dans ce contexte, il s’illustre par sa capacité à très bien transmettre son large savoir. M. Metzger a déjà été un excellent ambassadeur de la Bundesbank à Buenos Aires, sur les rives du Rio de la Plata. Il remplira également ce rôle de manière parfaite sur les rives du Rhin et de la Ruhr. Je vous souhaite, cher M. Metzger, pour vos nouvelles tâches la fortune nécessaire et un franc succès.

Je vous remercie de votre attention.

Notes de bas de page:

  1. Smith, A. (1776), An Inquiry Into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, W. Strahan and T. Cadell, London, Chapter I: Of the Division of Labour.
  2. Weidman, J., Exploring a digital euro, discours du 14 septembre 2021.
  3. Bernanke, B. S., Inaugurating a new blog, The Brookings Institution, 30 mars 2015.
  4. Schmieder, J., Kalifornien droht eine Logistik-Katastrophe, Süddeutsche Zeitung Online, 4 novembre 2021.
  5. Weidmann, J., déclaration lors de la conférence de presse à l’occasion de la présentation du Rapport 2020 de la Deutsche Bundesbank, 3 mars 2021
  6. Deutsche Bundesbank, Zu den Sparmotiven privater Haushalte während der Pandemie und ihren Implikationen für die Projektion, Rapport mensuel, juin 2021, p. 25-28.
  7. Issing, O. (2021), Ist die Inflation gefährlich?, Die Zeit, n° 32/2021.
  8. Weidmann, J., Expectations matter, discours du 26 septembre 2019.
  9. Banque centrale européenne, Financial Stability Review, novembre 2021.