Discours à l’occasion du 10e anniversaire du House of Finance

1 Paroles de bienvenue

Cher Monsieur König,
Chère Madame la Présidente,
Cher Monsieur le Ministre-Président,
Cher Monsieur Klaus,
Cher Otmar Issing,
Mesdames, Messieurs,

je me réjouis de pouvoir fêter aujourd’hui avec vous le 10e anniversaire du House of Finance. Permettez-moi de profiter de cet événement festif pour porter mon regard sur quelques siècles passés.

Trois scientifiques parviennent à l’entrée de la célèbre caverne d’Ali Baba, un physicien, un chimiste et un économiste. Mais comment ouvrir la porte dans la paroi rocheuse massive ?

Le physicien propose de fabriquer un puissant levier pour dégager le chemin. Après une semaine d’efforts, la roche n’a toujours pas cédé. Le chimiste s’emploie alors à créer une mixture de substances pour faire exploser la roche. Mais cette tentative reste elle aussi vaine.

Pendant ce temps, l’économiste se tient en retrait et prend du bon temps. Irrités, ses deux compagnons lui demandent de trouver à son tour une solution pour ouvrir la porte. Sur ce, l’économiste réplique : « Chers amis, quel est votre souci ? Supposons simplement que la porte est ouverte. »

Longtemps, les macroéconomistes ont traité le système financier de la même façon que la caverne fermée. Dans leurs modèles, ils supposaient simplement que le système financier transférait toujours de manière efficiente et sans accroc l’épargne vers les moyens d’utilisation les plus productifs. L’évolution économique, notamment depuis les années 1990, semblait confirmer les économistes dans leur approche. Le secteur financier gagna en taille et en importance alors que la conjoncture et l’inflation évoluaient de plus en plus régulièrement. Certains y voyaient une relation causale. Sur la base d’un modèle hautement stylisé, des économistes par exemple de la Réserve fédérale argumentèrent en 2006 que l’on devrait inclure des innovations financières dans la liste des causes probables pour la diminution des fluctuations macroéconomiques. [1]

À l’université Goethe à Francfort, on commença pendant ce temps à étudier de manière globale et interdisciplinaire la fonction et l’importance du système financier pour l’ensemble de l’économie. Après que le House of Finance avait ouvert ses propres portes au printemps 2008, la preuve frappante de l’importance de cette approche ne se fit malheureusement pas attendre. La crise financière entraîna la pire récession économique mondiale de l’histoire d’après-guerre. Depuis, la prise en compte explicite du secteur financier, de ses particularités et interdépendances, constitue un projet central, sinon le projet essentiel, de la macroéconomie.

Rétrospectivement, la création du House of Finance semblait presque inévitable. En effet, Francfort est une importante place financière en Europe et, de plus, le siège de la BCE et de la plus grande banque centrale nationale au sein de l’Eurosystème. Mais l’histoire ne suit pas un chemin inévitable, elle est plutôt le résultat d’opportunités qu’il convient de saisir. L’une d’elles était certainement la construction d’un nouveau bâtiment de l’université, qui permit aux différents résidents du House of Finance d’être réunis sous un même toit.

2 La Bundesbank et le House of Finance

De nombreuses personnalités ont activement soutenu le projet « House of Finance », dont Karl-Otto Pöhl et bien sûr Otmar Issing. En effet, la création du House of Finance fut aussi pour la Bundesbank une évolution particulièrement réjouissante, puisqu’une coopération était un choix qui s’imposait. Et cet échange « à travers le parc » a porté ses fruits à de nombreux niveaux : Des travaux de recherche communs ont ainsi été réalisés. Cette année, par exemple, Dirk Bursian et Ester Faia ont publié un document commun qui souligne l’importance de la confiance des ménages vis-à-vis les banques centrales en ce qui concerne les décisions de politique monétaire.  [2]

De nombreux doctorants de l’université Goethe travaillent en tant qu’assistants auprès du centre de recherche de la Bundesbank. Son directeur, Emanuel Mönch, enseigne en tant que professeur au House of Finance et Björn Imbierowicz y travaille également en qualité de directeur académique du programme de gestion des risques financiers à la Goethe Business School attachée au House of Finance.

En outre sont régulièrement organisés des séminaires, des ateliers et des conférences conjoints. Et il existe les exposés tenus par des prestigieux orateurs, comme le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, la directrice du FMI, Christine Lagarde, le ministre italien de l’Économie et des Finances de l’époque, Pier Carlo Padoan, et le président de la Banque des règlements internationaux, Agustín Carstens.

Qu’il s’agisse du « too big to fail », l’interdépendance entre États et banques ou les effets de la politique monétaire sur la stabilité financière – la coopération entre le House of Finance et la Bundesbank offre la possibilité d’acquérir, d’approfondir et de réexaminer des connaissances.

2.1 Des réformes pour l’union monétaire européenne

Il y a deux ans, Pier Carlo Padoan a ébauché dans son discours tenu ici même un agenda européen qui est encore d’actualité aujourd’hui : l’ouverture des marchés du travail et des produits, des investissements dans des biens publics européens, des finances publiques solides et l’accomplissement de l’union bancaire et de l’union des marchés des capitaux, pour ne citer que quelques points.  [3]

Il s’agit pour l’essentiel de regagner la confiance des citoyens dans l’Europe et ses institutions et de renforcer la résilience de l’Union monétaire aux crises. Dans ce contexte, il est tout à fait naturel qu’il existe différent points de vue quant aux chemins menant à ces buts.

À mon avis, une réforme de l’Union monétaire doit de nouveau placer action et responsabilité plus clairement en une main. Cela n’exclut en aucun cas un partage plus fort des risques budgétaires. Toutefois, davantage de droits souverains devraient alors être transférés au niveau européen. Mais si les États membres insistent sur leur indépendance en matière financière, il faut renoncer aussi à des pas supplémentaires visant à une responsabilité commune. Il incombe alors surtout de renforcer la responsabilité propre.

En particulier en ce qui concerne l’accomplissement de l’union bancaire, il convient de veiller à ce qu’avant de créer une garantie des dépôts commune, les risques encore existants de l’époque de la responsabilité nationale soient suffisamment réduits. Il s’agit des stocks en partie élevés de crédits douteux, mais aussi de titres d’emprunt d’État du propre pays dans les bilans bancaires. Il convient également d’empêcher qu’à l’avenir des risques émanant de la politique budgétaire nationale puissent être transférés au système bancaire. Pour cela, il est nécessaire de mettre fin au traitement privilégié des titres d’emprunt d’État dans la réglementation et de rompre le lien entre États et banques.

Le fait que ce lien constitue un point névralgique de l’Union monétaire est également confirmé par un travail de recherche du House of Finance. Ainsi, les économistes Carlo Altavilla, Marco Pagano et Saverio Simonelli ont démontré dans une étude empirique que notamment des banques publiques, sauvées avec des aides d’États et faiblement capitalisées, avaient acheté pendant la crise davantage de titres d’emprunt d’État de leur pays d’origine que d’autres banques. [4] Cela les rendit sensiblement plus vulnérables face à d’éventuelles turbulences budgétaires dans leur pays d’origine.

2.2 Les effets macroéconomiques de l’incertitude

Tout aussi d’actualité est toujours le thème de l’incertitude que Padoan avait – que quelques mois après le référendum sur le Brexit – considéré dans son discours comme important à l’époque. L’incertitude revêt, selon lui, le danger que les entreprises se montrent réservées en matière d’investissements et qu’une faible demande pourrait, par des effets d’hystérésis, durablement porter préjudice à l’économie.

Depuis, divers événements et évolutions ont renouvelé l’impression de se trouver dans une période particulièrement incertaine. Dans ce contexte, on souligne souvent le changement de gouvernement aux États-Unis qui marque un nouveau chapitre dans la politique commerciale internationale. Mais le ralentissement appréhendé de la demande n’est pas intervenu. Au contraire, la croissance de l’économie mondiale, du commerce et des investissements s’est renforcée au cours de l’année passée.

Cependant, l’incertitude constitue actuellement à nouveau un facteur négatif, alors que les économistes du FMI tablent dans leurs prévisions du mois d’octobre pour l’année en cours et l’année prochaine sur une hausse tout aussi vigoureuse de la performance économique mondiale qu’en 2017. Et l’OCDE ne prévoit qu’une légère perte de vitesse pour 2019.

Dans une étude empirique, la Bundesbank est récemment parvenue à la conclusion que le rapport entre incertitude et économie réelle n’était pas aussi étroit qu’on ne le supposait souvent. [5] Cela vaut surtout pour l’incertitude politique. Et il est clair que pour les prévisions économiques, ce sont notamment des risques politiques qui jouent actuellement un rôle important. Pensez à la politique commerciale, aux tensions géopolitiques, au Brexit et à diverses évolutions sur notre continent.

2.3 Politique monétaire

Dans son discours tenu il y a deux ans et demi au House of Finance, Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, avait déjà appelé à une plus grande volonté de coopération internationale. De plus, elle avait invité les différents pays à réaliser des réformes structurelles pour mener l’économie à long terme sur le chemin d’une meilleure croissance. Elle invita en même temps la plupart des pays industrialisés à continuer à poursuivre une politique monétaire expansive. [6]

Compte tenu des progrès réalisés en vue d’assurer la stabilité des prix, le Conseil des gouverneurs de la BCE a signalé il y a quelques mois de vouloir cesser à la fin de l’année les achats nets de titres par l’Eurosystème. Mais même au-delà de cette date, la politique monétaire dans la zone euro demeurerait très accommodante, étant donné que, d’une part, les revenus des titres arrivant à échéance seraient encore réinvestis pendant une période prolongée et, en tout cas, aussi longtemps que nécessaire. D’autre part, le Conseil des gouverneurs de la BCE avait continué ces derniers temps de prévoir que les taux directeurs resteraient à leurs niveaux bas actuels au moins jusqu’à l’été 2019 et, en tout cas, aussi longtemps que nécessaire. La fin des achats nets de titres n’est par conséquent qu’un premier pas sur le long chemin d’une normalisation graduelle de la politique monétaire.

Mesdames, Messieurs,

la formule magique « sésame, ouvre-toi » aurait ouvert à nos trois protagonistes mentionnés au début de mon discours la voie vers les trésors d’Ali Baba. Selon une hypothèse, cette formule remonte aux propriétés du sésame, une des plus anciennes plantes de culture du monde.

En effet, les précieuses graines de sésame, qui servaient déjà aux peuples de l’antiquité à fabriquer de l’huile alimentaire, sont protégées par la capsule du fruit. Ce n’est qu’à maturité que la capsule s’ouvre pour libérer son trésor. Mais celui qui pense que seule la patience mène au but se trompe. Celui qui attend trop longtemps constatera que le vent emporte rapidement les précieuses graines. Il incombe donc d’agir résolument dès que le moment approprié est venu.

Dans le contexte de la politique monétaire, il est clair que les prochaines étapes du retour à la normale dépendent de l’évolution des données. Mais je suis persuadé que nous ne devrions pas perdre du temps inutilement, car la politique monétaire expansive revêt aussi des risques et des effets secondaires, notamment le risque d’incitations erronées au sein du système financier.

3 Conclusion

Mesdames et Messieurs,

lorsque la création d’une institution est rétrospectivement regardée comme étant nécessaire, elle peut être considérée à juste titre comme un succès. Le House of Finance n’a certes pas encore trouvé de formule magique, mais il est devenu, de mon point de vue, une salle du trésor lui-même en contribuant à gagner des enseignements et donc, au sens figuré, en ouvrant des portes.

Mais nous devons nous-mêmes appliqués ces enseignements. Dans leurs discours, Jim Yong Kim et Christine Lagarde ont cité tous deux Johann Wolfgang von Goethe : « Il ne suffit pas de savoir, il faut aussi appliquer ; il ne suffit pas de vouloir, il faut aussi agir. »

En ce sens, j’adresse à Wolfgang König et au House of Finance mes meilleurs vœux pour le dixième anniversaire et me réjouis d’une coopération productive tout au long de nombreuses années à venir.

Je vous remercie de votre attention !


Notes de bas de page

  1. Karen Dynan, Douglas Elmendorf, Daniel Sichel (2006), “Can financial innovation help to explain the reduced volatility of economic activity?”, Journal of Monetary Economics, Vol. 53, S. 123-150.
  2. Dirk Bursian, Ester Faia (2018), Trust in the monetary authority”, Journal of Monetary Economics, vol. 98, p. 66-79.
  3. Pier Carlo Padoan (2016), “Promoting Growth, Employment and Solidarity in Europe after the British Referendum”, discours du 21.10.2016, http://www.mef.gov.it/en/ufficio-stampa/articoli/article.html?v=/en/ufficio-stampa/articoli/2014_2018-Pier_Carlo_Padoan/article_0162.html

  4. Carlo Altavilla, Marco Pagano, Saverio Simonelli (2016), “Bank Exposures and Sovereign Stress Transmission”, document de travail du CFS, n° 539.

  5. Deutsche Bundesbank, „Gesamtwirtschaftliche Auswirkungen von Unsicherheit“, Rapport mensuel, octobre 2018, p. 49-65.

  6. Christine Lagarde, “Decisive Action to Secure Durable Growth”, discours du 5 avril 2016, https://www.imf.org/en/News/Articles/2015/09/28/04/53/sp040516