60e anniversaire de la Bundesbank – engagement pour une monnaie stable Allocution lors de la réception à l’occasion du 60eanniversaire de la Bundesbank

1 Paroles de bienvenue

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie, cher Monsieur Scholz, pour votre allocution et de l’estime dont vous avez fait part à l’encontre de la Bundesbank. Je vous suis également très reconnaissant d’avoir mis à notre disposition, avec l’hôtel de ville de Hambourg, un cadre aussi beau et solennel pour porter notre regard sur les 60 ans de la Bundesbank et discuter ensemble des défis des prochaines années.

60 ans de Bundesbank, cela signifie 60 ans d’engagement pour une monnaie stable. Comme auparavant la « Bank deutscher Länder », la Bundesbank a veillé à ce que le deutsche mark fût une monnaie stable. Mais en plus, le deutsche mark devint une monnaie de référence internationale et un symbole d’identification national qui était également l’image de la puissance économique de l’Allemagne.

En 1999, l’Allemagne a adhéré à l’Union monétaire européenne. Depuis, la Bundesbank s’engage avec le même élan en faveur d’un euro stable.

La Bundesbank a été créée le 4 juillet 1957. C’est à ce jour que le Bundestag allemand a décidé la Loi relative au statut de la Bundesbank, en même temps que celle relative aux cartels. Ainsi, l’écrivait le quotidien FAZ à l’époque, « ont été adoptées deux lois fondamentales essentielles pour l’ensemble de notre ordre économique ».

Avec l’entrée en vigueur de la Loi relative au statut de la Bundesbank, le 1er août 1957, la Bank deutscher Länder, les banques centrales régionales et la banque centrale berlinoise ont été regroupées en une institution unique, la Deutsche Bundesbank.

La Bundesbank a repris le siège de la Bank deutscher Länder à Francfort. Je ne suis pas sûr que vous sachiez que ce serait presque été Hambourg. À l’époque, les Britanniques avaient insisté pour que le siège de la Bank deutscher Länder soit établi à Hambourg. Finalement, les Américains, qui favorisaient Francfort, ville située dans leur zone d’occupation, se sont imposés.

Pour Francfort, cela fut un choix important. La ville devint le centre financier de l’Allemagne et a pu attirer, plus tard, le siège de la Banque centrale européenne. Mais je ne pense pas que cela ait nui au développement de Hambourg. Hambourg est quand même une ville attrayante, vivante et prospère.

En tout cas, le choix du site n’avait certainement pas d’influence sur le succès de la Bundesbank, qui était dû, de mon point de vue, à trois facteurs essentiels :

  • le mandat étroit visant à assurer la stabilité des prix,
  • l’indépendance permettant d’atteindre cet objectif, si nécessaire, contre la volonté de la politique, et
  • le large attachement de la population allemande à la stabilité, qui a conféré à la Bundesbank le soutien nécessaire à sa politique monétaire.

Mesdames et Messieurs, le problème fondamental de la politique monétaire repose sur un conflit d’objectifs : à court terme, la lutte contre l’inflation peut se faire au détriment de la dynamique conjoncturelle et aussi de l’emploi. Inversement, la banque centrale peut provisoirement freiner le chômage si elle accepte une hausse de l’inflation. C’est ce que les économistes appellent la corrélation selon la courbe de Phillips. Celle-ci est également exprimée dans la célèbre phrase de Helmut Schmidt, qui, au début des années 1970, prononça les paroles suivantes : « Mieux vaut cinq pour cent d’inflation que cinq pour cent de chômage ».

La raison de cette relation inverse entre inflation et chômage est qu’une hausse inattendue de l’inflation diminue les salaires réels et les coûts du travail et entraîne donc en général une baisse du taux de chômage.

Mais cela ne vaut qu’à court terme, étant donné que les salariés réclameront une compensation pour la hausse de l’inflation. Alors les salaires réels et le chômage seront de nouveau là où ils étaient auparavant. La courbe de Phillips se déplace.

Et si les syndicats craignent une hausse continue du taux d'inflation et imposent des augmentations salariales encore plus importantes, le taux de chômage augmentera même encore.

Ce principe peut être illustré à partir d’un exemple de la vie quotidienne. Celui qui quitte tous les matins la maison en retard pourra peut-être dupé une fois si sa partenaire avance l’horloge de la cuisine de cinq minutes. Mais il s’y habituera avec le temps et sa partenaire devra encore avancer l’heure pour éviter de nouveaux retards.

Il en va de même avec la politique monétaire. Celui qui recourt à la planche à billets pour lutter contre le chômage se retrouvera à la fin avec une forte inflation et un taux de chômage élevé.

Les années 1970 ont parfaitement illustré ce rapport. À l’époque, les banques centrales de nombreux pays essayèrent d’amortir les effets négatifs des deux chocs pétroliers sur le marché du travail en menant une politique monétaire expansive.

Mais cette mesure n’a pas produit l’effet escompté : finalement, ces pays enregistraient durablement des taux d'inflation plus élevés sans que le taux de chômage ne fût plus faible qu’en Allemagne ou en Suisse, pays où les banques centrales ont mené une politique davantage axée sur la stabilité des prix.

Un mandat de banque centrale axé sur la stabilité des prix contribue à empêcher de tomber dans un tel équilibre défavorable entre une forte inflation et un taux de chômage élevé. Mais la banque centrale ne doit pas non plus admettre le moindre doute qu’elle se déplace de manière fiable dans le cadre de son mandat, cela étant pour elle le seul moyen pour durablement ancrer les anticipations d'inflation des entreprises et des ménages.

C’est ici qu’intervient la deuxième condition que je viens de mentionner : l’indépendance. Une banque centrale doit à tout moment être en mesure de remplir son mandat d’assurer la stabilité des prix indépendamment de toute interférence politique. En effet, les politiciens peuvent facilement être tentés d’accorder une plus grande importance à une baisse à court terme du taux de chômage qu’aux coûts à long terme engendrés par un taux d'inflation durablement plus élevé.

Dans ce contexte, il était certainement essentiel que la Bundesbank, tout comme son prédécesseur, la Bank deutscher Länder, fut indépendante des instructions politiques. En effet, la période d’après-guerre allemande a également connu des épisodes où la banque a dû se défendre contre des revendications politiques visant à assouplir la politique monétaire.

Je pense par exemple au célèbre « discours du Gürzenich » que Konrad Adenauer a tenu peu de temps avant la création de la Bundesbank. La Bank deutscher Länder avait adopté une politique monétaire restrictive en raison du fait que l’économie allemande risquait de surchauffer suite à une forte demande extérieure. En 1956, Konrad Adenauer mit en garde dans son discours du Gürzenich à Cologne contre la politique monétaire restrictive avec les paroles suivantes : « Le couperet tombera sur le petit peuple ». L’année suivante, le magazine DER SPIEGEL écrivit en rétrospective : « De surcroît, les restrictions de crédit se sont avérées plus tard comme étant la meilleure mesure puisqu’elles avaient juste à temps évité un revirement de la haute conjoncture en un emballement économique inflationniste. »

Et en 1979, le gouvernement éleva également la voix contre une hausse des taux de l’escompte et du lombard. Manfred Lahnstein, secrétaire d'État au ministère fédéral des Finances, fit part de sa critique devant le Conseil de la Bundesbank et la rendit ensuite publique. Il exprima la crainte que les hausses des taux d’intérêt pourraient menacer la reprise économique. Effectivement, l’Allemagne enregistra en 1979 une croissance réelle de 4,5 pour cent, et ce malgré les augmentations des taux d’intérêt. La Bundesbank avait donc bien fait de prendre des mesures pour empêcher que les tendances inflationnistes observées à l’échelle mondiale ne débordent encore davantage sur l’Allemagne.

Parce que dans les cas cités, la Bundesbank est restée ferme et ne s’est pas laissée dissuader de son orientation en matière de politique monétaire, le journal « Die Welt » la qualifia un jour de « bastion sur le Main ».

Pour la Bundesbank, cela fut certainement une distinction. Elle ne s’était en effet pas opposée aux pressions politiques parce qu’elle était indifférente à l’évolution macroéconomique, mais parce qu’elle était, déjà à l’époque, persuadée qu’une monnaie stable était la meilleure contribution qu’une banque nationale pouvait à la longue apporter à un haut niveau d’emploi et à une croissance économique durable.

La meilleure chose qu’une banque nationale pouvait faire pour l’économie était « de ne pas devenir elle-même une source de perturbations économiques » écrivit un jour Milton Friedman, pour qui l’économie fonctionnait le mieux « lorsque les producteurs et les consommateurs, les employeurs et les employés peuvent effectuer leurs échanges en étant pleinement convaincus que le niveau moyen des prix […] est très stable. »

Mais je suis persuadé que la Bundesbank n’a pu gagner sa lutte avec les politiciens que parce qu’elle pouvait compter sur le fait que les citoyens savaient apprécier la valeur d’une monnaie forte. Cela me mène à la troisième condition pour le succès de la Bundesbank : une politique axée sur la stabilité ne peut être réalisée que si la population est suffisamment attachée à la stabilité car, à long terme, il ne peut y avoir dans les États démocratiques de politique monétaire allant à l’encontre des préférences de la population.

C’est pourquoi Otmar Issing déclara un jour que chaque pays recevait l’inflation qu’elle méritait.

Mesdames et Messieurs, sur la base des trois piliers – un mandat étroit orienté sur la stabilité des prix, l’indépendance et une population attachée à la stabilité –, la Bundesbank est parvenue durant des décennies à maintenir le deutsche mark extrêmement stable. Entre 1956 et 1998, le taux d'inflation en Allemagne était en moyenne le plus faible de tous les pays du G7 sans que cela n’ait entraîné un effet négatif sur l’emploi.

Mais la réalité est aussi qu’une banque centrale ne peut vraiment remplir son mandat avec succès que si elle est soutenue par d’autres domaines politiques. Il existe donc encore d’autres facteurs ayant une influence sur la stabilité des prix. La dernière crise financière a par exemple révélé à quel point il était difficile pour les banques centrales d’assurer la stabilité des prix lorsque le système financier se trouve en difficultés.

Mais je pense par exemple également à l’importance d’une politique budgétaire solide. Uniquement s’il existe une marge de manœuvre suffisante en matière de politique budgétaire, les stabilisateurs automatiques peuvent agir en périodes de difficultés économiques, ou le gouvernement peut même réagir face à un effondrement conjoncturel par une augmentation ciblée des dépenses.

Plus cette marge de manœuvre est étroite, plus la pression politique s’accroît sur la banque centrale de stabiliser la conjoncture à court terme – même si cela se fait aux dépens de la stabilité des prix.

Des finances publiques solides protègent donc la politique monétaire. Et c’est précisément pourquoi le pacte de stabilité et de croissance a été décidé en Europe et c’est précisément la raison pour laquelle la Bundesbank ne cesse de rappeler à quel point il est important de respecter les règles budgétaires pour que l’euro puisse durablement tenir sa promesse de stabilité.

La stricte séparation entre politique monétaire et politique budgétaire est essentielle. L’hyperinflation en Allemagne dans les années 1920 fournit une preuve particulièrement impressionnante de ce qui peut se produire lorsqu’une banque centrale finance des dettes publiques exubérantes.

Mais aussi au-delà de cet épisode, il est possible de trouver des exemples historiques où un financement de déficits budgétaires par la banque centrale allait de pair avec des taux d'inflation élevés. Ainsi par exemple, la Banca d’Italia fut contrainte dans les années 1970 à acheter les titres souverains non cédés dans des ventes publiques. Ce n’est apparemment pas par hasard qu’au cours de cette décennie le taux d'inflation moyen de l’Italie s’élevait à plus de 12 pour cent. Cela est appuyé par le fait que la Banca d’Italia ne fut en mesure de maîtriser l’inflation et de stabiliser la lire que lorsqu’elle se démarqua au début des années 1980 de la politique budgétaire.

En Italie, ce détachement est connu en tant que « divorce » entre la Banca d’Italia et le ministère des Finances. Dans un discours tenu à l’occasion du 30eanniversaire de ce divorce, Mario Draghi a rappelé cette importante césure et a fait observer que grâce à l’autonomie retrouvée de la Banca d’Italia, il avait été possible de maîtriser la hausse des prix – et ce sans nuire à l’industrie, comme cela avait été craint auparavant par certains sceptiques.

2 Le modèle à succès de la Bundesbank a inspiré la création de la BCE

Mesdames et Messieurs, nous pouvons à juste titre être un peu fier que le succès de la Bundesbank, en particulier dans les années 1970 et 1980, a inspiré de nombreux pays à également accorder l’indépendance à leurs banques centrales et à leur confier un mandat clair d’assurer la stabilité des prix. Cette évolution a finalement atteint son apogée avec la création de la Banque centrale européenne, qui avec son indépendance et son mandat d’assurer la stabilité des prix, a été conçue d’après le modèle de la Bundesbank.

Pour la Bundesbank, cela fut sans conteste une reconnaissance particulière de son travail. Compte tenu de la haute estime qu’avait le deutsche mark et du rôle central que jouait la Bundesbank avec son attachement fiable à la stabilité pour la politique monétaire en Europe, l’introduction de l’euro a cependant également représenté une césure pour la banque centrale allemande.

En effet, avec l’entrée dans la troisième phase de l'Union économique et monétaire, la compétence décisionnelle en matière de politique monétaire fut transférée au Conseil des gouverneurs de la BCE.

La responsabilité exclusive pour le deutsche mark devint donc une coresponsabilité pour l’euro. Tout comme les gouverneurs des autres banques centrales membres, le président de la Bundesbank a un siège et une voix au Conseil des gouverneurs. Et cette coresponsabilité n’est pas moins importante dans un système fédéral où on recherche constamment la bonne orientation en matière de politique monétaire.

Être coresponsable pour l’euro signifie par ailleurs aussi de mettre en œuvre la politique monétaire. Lorsque les banques et les caisses d'épargne allemandes ont besoin de monnaie banque centrale, elles s’adressent à la Bundesbank, puisque le niveau national est responsable du traitement des opérations de politique monétaire au sein de l’Eurosystème.

Au-delà de la politique monétaire, la Bundesbank remplit encore d’autres tâches importantes comme l’approvisionnement en monnaie et billets. 15 milliards de billets de banque ont été traités l’année passée par les agents dans nos succursales. À cette occasion, ils ont été vérifiés quant à leur aptitude à la mise en circulation et ont été remplacés, le cas échéant, par de nouveaux billets.

Le traitement des opérations de paiement scripturales fait également partie de nos tâches. Nous constituons avec nos banques centrales partenaires, à savoir la Banca d’Italia, la Banque de France et le Banco de España, l’épine dorsale du règlement des opérations de paiement et des opérations sur titres à l’échelle européenne : TARGET2 et TARGET2 Securities. Nous réalisons tous les jours par le biais de TARGET2 des paiements d’une valeur d’environ 1,7 billions d’euros. Et conjointement avec l’Office fédéral allemand de surveillance du secteur financier (BaFin), nous surveillons environ 1 800 établissements financiers allemands et participons à la surveillance bancaire européenne sous l’égide de la BCE.

Depuis la crise financière, d’autres tâches se sont ajoutées. Ainsi la Bundesbank a depuis 2013 le mandat légal de contribuer à la stabilité financière en Allemagne. Cela signifie d’identifier des risques pour la stabilité financière en Allemagne, d’émettre des alertes et de préparer des recommandations pour le Comité de stabilité financière sur la manière dont de tels risques peuvent être évités. En effet, un des principaux enseignements de la crise financière était qu’il ne suffisait pas de veiller uniquement à la stabilité des différents établissements financiers, mais qu’il fallait aussi constamment surveiller le fonctionnement et la performance du système financier dans son ensemble. Ou, pour citer les paroles de Janet Yellen : « Avant la crise, nous avons examiné de près les arbres et pas aussi suffisamment de près, comme nous aurions dû le faire, la forêt. »

3 Assurer la stabilité

Mesdames et Messieurs, même si les conditions cadres pour la Bundesbank ont souvent changé, son orientation de base en matière de politique monétaire est restée la même au fil des ans : notre cap demeure fixé sur la stabilité. C’est ce qui définit ma position au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE et qui détermine également la position de mes collègues de la Bundesbank dans les groupes de travail de l’Eurosystème.

Mais il est dans la nature des choses que les débats dans les organes de l’Eurosystème sont parfois controversés. Cela vaut d’autant plus dans des périodes comme celle-ci qui représentent un défi du point de vue de la politique monétaire.

Je suis persuadé qu’il est toutefois nécessaire, en particulier dans de telles périodes, de mener un débat intense sur la bonne orientation de la politique monétaire. Et je suis aussi convaincu que ce débat profite des nombreux points de vue et expériences apportés par les banques centrales de l’Eurosystème.

Mais, bien sûr, cela signifie aussi que les décisions prises ne correspondent pas toujours à ce que j’aurais souhaité. Cela irait par ailleurs à l’encontre d’un système fédéral. Je pense que Monsieur Scholz sera d’accord avec moi.

Actuellement, la faible pression inflationniste constitue le défi que doit affronter le Conseil des gouverneurs de la BCE en matière de politique monétaire. Les taux d'inflation se situent depuis 2013 en dessous du taux visé par le Conseil des gouverneurs, à savoir un taux inférieur à, mais proche de 2 pour cent. Les raisons pour cela sont multiples : outre une baisse brutale du prix du pétrole, les effets de la plus grave récession de l’après-guerre se firent ressentir. L’évolution économique dans la zone euro était faible, à cela s’ajoutèrent les processus d'ajustement dans les pays en crise lancés afin de retrouver leur compétitivité et de diminuer leur endettement.

C’est pourquoi le Conseil des gouverneurs de la BCE fut contraint de plus en plus à assouplir les conditions de financement jusqu’à ce que les taux d’intérêt de la banque centrale atteignissent un niveau zéro, voire négatif. Pour pouvoir encore plus assouplir les conditions de financement, le Conseil des gouverneurs décida l’achat massif de titres tant des entreprises que du secteur public.

Vous savez certainement que je me suis toujours montré sceptique en ce qui concerne l’achat de titres souverains. En effet, ces achats risquent – en particulier dans la zone euro avec sa politique monétaire commune et les politiques économiques décidées de manière décentralisée dans les 19 pays membres – d’effacer la frontière entre politique monétaire et politique budgétaire. Le fait de garder une distance suffisante vis-à-vis de cette frontière protège notre indépendance qui, dans un système politique démocratique, ne peut être justifiée que par un mandat étroit.

Avec des arguments pertinents, nous avons au moins obtenu que, dans le cadre du programme actuel d’achat de titres souverains, la Bundesbank n’achète que des titres allemands et non pas des titres d’autres pays de la zone euro dont la solvabilité est faible, comme cela fut le cas avec le programme SMP dans les années 2010 à 2012. Autrement qu’à l’époque, il n’y a donc généralement pas de communautarisation de risques de solvabilité des pays de la zone euro par le biais des bilans des banques centrales de l’Eurosystème.

Mais il est d’autre part indéniable que les achats de titres effectués depuis deux ans et demi ont fait de l’Eurosystème le principal créancier des États. Les conditions de financement des États dépendent donc beaucoup plus directement de nos actions que cela ne serait le cas en période de politique monétaire normale.

Entre-temps, les États paient pour la partie de leur dette qui est détenue par la banque centrale pratiquement les mêmes taux d’intérêt bas. Et il ne faut pas être prophète pour réaliser que le Conseil des gouverneurs de la BCE aura besoin d’une grande fermeté pour retourner à la normale en matière de politique monétaire et pour procéder à une hausse des taux d’intérêt.

Pour moi, l’achat de titres souverains constitue donc un pur instrument d’urgence, par exemple pour parer à une dangereuse spirale déflationniste descendante caractérisée par une baisse des prix et des salaires. J’ai considéré dès le début des achats des titres d’emprunt que ce danger n’était que faible. Et il a pratiquement disparu depuis.

En effet, la reprise a entre-temps gagné en dynamisme et en ampleur. Le taux d'utilisation de l'économie augmente, ce qui se traduira aussi par une pression accrue sur les prix. Les prévisions soumises hier montrent toutefois que la hausse de l’inflation n’interviendra que lentement et que l’incertitude concernant son évolution future est relativement importante. Le Conseil des gouverneurs de la BCE a par conséquent décidé de tout d’abord attendre afin de pouvoir tranquillement évaluer la situation en matière de politique monétaire.

Mesdames et Messieurs, Anthony Quinn aurait dit un jour qu’on pouvait même à 60 ans se sentir comme si on en avait 40, mais seulement pendant une demi-heure par jour.

Cela ne vaut heureusement pas pour les banques centrales, pour lesquelles 60 ans ne sont pas encore un âge avancé. En effet, la Banque d’Angleterre et la Banque de Suède ont toutes deux déjà plus de trois siècles.

Nous pouvons donc, à 60 ans, nous engager pour une monnaie stable avec autant de véhémence qu’à 40 ans.

En effet, la crise dans la zone euro nous a montré que la stabilité de la monnaie n’allait pas de soi. Et cela vaut par ailleurs aussi pour la stabilité de l’Union monétaire, puisque les propos tenus il y a 20 ans par mon prédécesseur, Hans Tietmeyer, se sont malheureusement confirmés : « L’union monétaire ne connaîtra pas que des jours ensoleillés. Il y aura aussi de la pluie et des tempêtes. »

Les vastes mesures de crise prises par la politique européenne et l’Eurosystème ont certes empêché que la crise dégénère, mais elles n’ont pas apporté une stabilité durable à l’Union monétaire. Surtout ont été introduits des éléments supplémentaires de responsabilité commune. Le contrôle des politiques économique et financière reste cependant dans une large mesure de la responsabilité des États membres. Et comme vous le savez, ceux-ci attachent une grande importance à leur souveraineté.

C’est la raison pour laquelle action et responsabilité ont perdu leur équilibre. Je suis toutefois convaincu que des décisions responsables ne sont prises que lorsque celui qui agit doit aussi répondre des conséquences de sa décision. Il s’agit là du principe de responsabilité sur lequel repose notre ordre d’économie de marché et qui constitue pour Walter Eucken un principe fondamental de l’économie sociale de marché.

C’est pourquoi je suis sceptique en ce qui concerne les propositions de réformes visant à étendre la responsabilité commune sans que des droits d’intervention correspondants ne soient transférés au niveau européen. En fin de compte, cela pourrait mener à une union de transfert. Cela aggraverait plutôt les problèmes en Europe au lieu de les résoudre. Surtout, une telle évolution minerait également les bases d’une monnaie stable.

Tant qu’il n’y a pas de volonté politique de céder d’importants droits souverains à Bruxelles, voire d’oser le pas vers une union politique, il ne reste que le chemin tracé dans le traité de Maastricht, à savoir de renforcer la responsabilité propre des États membres.

Ceux-ci ont la possibilité, par des réformes profondes, de renforcer le potentiel de croissance de leurs économies nationales, d’améliorer les perspectives d’emploi des citoyens et de rendre les finances publiques durablement viables. Cela est dans leur propre intérêt et sert en même temps la communauté.

Pour souligner de nouveau la responsabilité propre, les marchés des capitaux devraient davantage être axés sur une tarification des titres souverains tenant compte du risque. Jusqu’à présent, les investisseurs pouvaient compter sur le fait qu’ils seraient, en cas de problèmes des États de la zone euro, sauvés par les fonds de sauvetage et donc au dépens des contribuables européens, ce qui a bien sûr diminué la conscience du risque des investisseurs. C’est pourquoi nous proposons que l'échéance des titres d'emprunt d'un État se prolonge automatiquement pour une durée déterminée dès lors que cet État demande des aides financières auprès des institutions européennes. Ainsi, les anciens créanciers demeureraient responsables et devraient participer à une éventuelle restructuration de la dette.

Il s’est également avéré lors de la crise que les banques et les États en difficulté se déstabilisent mutuellement. Il est donc nécessaire de mettre fin à l’interdépendance étroite entre banques et États au sein de la zone euro.

Nous nous sommes par conséquent engagés avec succès à ce que les organes compétents en matière de réglementation bancaire réfléchissent maintenant au niveau international à la question de savoir de quelle manière le traitement préférentiel des titres souverains qui existe actuellement dans les bilans bancaires peut être réduit. Les crédits octroyés à l’État devraient à l’avenir être garantis par des fonds propres appropriés au risque, comme cela est le cas pour les crédits accordés aux ménages.

Mesdames et Messieurs, les pères fondateurs de l’Union monétaire savaient déjà toutefois que l’Europe ne devrait pas se fier uniquement au fait que les marchés des capitaux apportent suffisamment d’incitations à parvenir à des finances publiques solides. Ils ont donc complété l’exclusion de responsabilité mutuelle par le pacte de stabilité et de croissance avec ses règles budgétaires.

Mais un regard sur la dette publique des pays de la zone euro fait apparaître que l’effet contraignant des règles budgétaires n’a jamais été vraiment fort dans le passé. C’est du moins l’impression qui s’impose lorsqu’on voit qu’entre-temps, certains pays ont dépassé pour la neuvième fois de suite le plafond du déficit budgétaire.

La Bundesbank s’est par conséquent prononcée en faveur de règles plus simples et plus transparentes et a proposé de transférer la surveillance de ces règles de la Commission européenne à une institution indépendante. Le problème fondamental est que la Commission a un double rôle en tant qu’autorité politique et arbitre dans le cadre de la surveillance des traités. Il en ressort un rapport de tension qui dans le passé a eu pour conséquence que la Commission avait souvent accepté des compromis au détriment de la discipline budgétaire. C’est la raison pourquoi le ministre fédéral des Finances, Wolfgang Schäuble, a plusieurs fois souligné ces derniers temps à quel point il était important que « la Commission garde le bon équilibre entre sa fonction politique et son rôle de gardienne des traités ».

Rétablir davantage l’équilibre entre action et responsabilité n’est pas une fin en soi. Il s’agit de créer les incitations appropriées afin que les États membres fassent tout pour permettre une croissance et une création d’emplois durables. En fin de compte, cela renforce également l’identification avec le projet européen, comme l’a indiqué récemment le Conseil d'experts pour l'appréciation de l'évolution économique générale.

4 Conclusion

Mesdames et Messieurs, il s’agit de « concentrer toutes les forces pour empêcher une inflation » écrivit en 1957 Ludwig Erhard dans son livre

« La prospérité pour tous ».

Conformément à ce principe, la Bundesbank s’engage depuis 60 ans en faveur de prix stables. S’il le faut, elle ne craint pas non plus de s’opposer à la politique si elle voit des risques pour la stabilité.

Cela n’a pas porté préjudice à notre réputation auprès de la population. C’est ce qui ressort non seulement des sondages mais aussi du large soutien qui nous a été témoigné encore récemment, par exemple, lors de notre journée portes ouvertes à Francfort. Le Président fédéral, Frank-Walter Steinmeier, nous a également attesté à l’occasion de notre anniversaire une grande confiance de la part des citoyens – en politique monétaire et dans nos autres attributions.

Nous allons continuer de nous engager pour mériter cette confiance.

Merci de nous rester fidèles !