Finance verte : transformer le risque en opportunité Tribune de M. Andreas Dombret et Mme Anne Le Lorier (Banque de France) parue le 10 juillet 2017 dans les quotidiens Handelsblatt et Les Echos

Enjeu majeur pour le secteur financier, la transition vers une économie "verte" est irréversible. Alors que les initiatives se multiplient en ce sens à travers la planète, il est essentiel et urgent que les institutions financières, les pouvoirs publics et les autorités de surveillance l’admettent : attendre n’est pas une option.

La position de la nouvelle administration américaine sur l’existence et les causes du changement climatique a suscité de grandes inquiétudes : la lutte contre les risques climatiques aurait rencontré un obstacle majeur. Des progrès significatifs ont pourtant été accomplis avec l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris, déjà ratifié par 146 des 195 signataires,  et la transition vers une économie à faible émission de carbone a bel et bien commencé. Or les effets de cette transition sur les banques et l’ensemble des institutions financières sont encore très largement sous-estimés. Ils représentent notamment des risques potentiels pour la stabilité des établissements considérés individuellement ainsi que pour le secteur dans son ensemble.

L’ajustement vers une économie à faible émission de carbone pourrait entraîner la réévaluation d’une large gamme d’actifs, une fois les coûts réels et les opportunités devenus apparents. Et le processus pourrait être accéléré par les évolutions technologiques ou de politiques environnementales. Les entreprises, les investisseurs et les prêteurs qui interviennent dans les secteurs touchés verraient leur rémunération chuter. Nous avons déjà vu des exemples de fortes dévalorisations : la capitalisation boursière des quatre plus gros producteurs de charbon aux États-Unis a enregistré une baisse supérieure à 90 % au cours des six dernières années. Traiter ces risques doit constituer une priorité.

Les banques et les autres institutions financières doivent procéder à un réexamen complet de leurs modèles et de leurs prévisions afin de s’assurer que les risques liés au climat sont correctement pris en compte. Il s’agit là d’un défi majeur compte tenu de la nature et de l’ampleur à long terme des évolutions auxquelles nous devrons faire face, de la faible utilité des données historiques pour les prévoir, et de la forte influence des décisions de politique publique. Des scénarios que l’on peut considérer comme relevant aujourd’hui d’un risque extrême pourraient devenir la norme dans le futur.

Les pouvoirs publics et les autorités de surveillance doivent également « prendre leur part ». Conscient de cette nécessité, le G20 a inscrit cette question à son ordre du jour dès 2015 et progresse dans deux domaines importants sous la présidence allemande actuelle. Un groupe de travail du Conseil de stabilité financière élabore des normes non contraignantes en matière de publication d’informations financières relatives au climat. Un groupe d’étude du G20 étudie également des outils de gestion du risque afin de permettre aux décideurs financiers d’intégrer les données environnementales dans leurs processus de pilotage des risques et d’allocation d’actifs. Celui-ci cherche également à améliorer la disponibilité, l’accessibilité et la pertinence des données environnementales publiques pour le secteur financier, en complément des travaux relatifs à la publication d’informations par les entreprises.

Il est temps aujourd’hui de passer à la seconde étape : faire du risque une opportunité. La transition vers une économie à faible émission de carbone nécessitera des financements importants. Les coûts de cette transition se chiffrent non en milliards, mais en milliers de milliards. L’une des façons de mobiliser les fonds nécessaires sera de recourir aux « obligations vertes », des instruments de dette spécifiquement dédiés au financement de projets ayant des effets positifs sur l’environnement. Ces instruments offrent un potentiel important : actuellement, les obligations labellisées vertes représentent moins de 1 % des émissions totales d’obligations et moins de 1 % des avoirs des investisseurs institutionnels mondiaux sont des actifs spécifiques liés aux infrastructures vertes. Le développement de ce marché s’accélère progressivement et son volume a presque doublé l’année dernière. Une émission « jumbo » d’obligations souveraines a été réalisée avec succès en début d’année. Et les centres financiers de Londres, Paris et Francfort prennent des initiatives pour se positionner en tant que pôles financiers verts de niveau mondial.

Les banques peuvent également jouer un rôle de financement important, et venir en complément des marchés de capitaux. Jusqu’à présent, seuls 5 à 10 % des prêts bancaires sont « verts » d’après les données des quelques pays pour lesquels des définitions nationales de ce type de prêts sont disponibles. Dans un contexte de marché difficile où de nombreuses banques luttent pour demeurer rentables, la transition vers une économie à faible émission de carbone est une opportunité commerciale prometteuse à long terme.