Rajan demande une action commune de la part des banques centrales

Raghuram Rajan lors de son discours à l'Université Goethe ©Jürgen Lecher
Raghuram Rajan lors de son discours à l'Université Goethe

Le gouverneur de la banque centrale indienne, Raghuram Rajan, s'est prononcé en faveur d'une fin rapide de la politique monétaire ultra-laxiste menée par de nombreuses banques centrales. L'achat massif de titres d'emprunt d'État ("assouplissement quantitatif") - tel qu'il a été ou est pratiqué par les banques centrales des États-Unis, du Royaume-Uni ou de la zone euro - ne génère pas une croissance plus soutenue, mais revêt des risques de plus en plus importants, a affirmé M. Rajan dans une conférence tenue à l'Université Goethe de Francfort-sur-le-Main sur invitation du centre de recherche SAFE, du Center for Financial Studies et de la Bundesbank. Selon lui, pour améliorer les perspectives de croissance, des réformes structurelles et des investissements dans l'infrastructure sont nécessaires.

Comment sortir du dilemme de prisonnier

D'après M. Rajan, les banques centrales risquent en raison de la politique monétaire ultra-laxiste de se retrouver dans un dilemme de prisonnier. Celui-ci aurait pour conséquence pour une banque centrale qu'à brève échéance, un abandon de sa politique serait lié à des risques plus élevés que la poursuite des mesures actuelles menées de pair avec les autres banques centrales. Pour M. Rajan, cela revêt d'énormes risques pour la stabilité financière. "Plus les mesures de politique monétaire non conventionnelles durent, plus les distorsions seront importantes et difficiles à renverser" a-t-il mis en garde. Alors que leur effet diminue avec le temps, les coûts continuent de grimper.

Du point de vue de M. Rajan, la tentative de générer une croissance plus soutenue au moyen de mesures de politique monétaire concurrentes ayant pour but une dépréciation monétaire est particulièrement problématique. "Nous pourrions tomber dans une politique dans laquelle nous nous ôtons réciproquement de la croissance" a-t-il indiqué. "Le plus vite nous mettons fin à cette politique, le mieux cela vaudra".

Pour M. Rajan, une sortie du dilemme consiste en une démarche commune des banques centrales, ce qu'il ne veut pas être compris comme une politique monétaire coordonnée. Pour lui, il s'agit plutôt d'un accord de principe des banques centrales de mettre fin à cette politique, même si cela intervient à des moments différents.

Selon M. Rajan, une hausse du taux directeur d'une banque centrale individuelle devrait, dans le contexte actuel, entraîner des fluctuations de cours assez importantes, qui devraient toutefois être acceptées. "Je m'inquiète davantage des conséquences d'une politique monétaire ultra-expansive durable" a-t-il ajouté.

D'accord avec MM. Weidmann et Issing

Jens Weidmann lors de son discours à l'Université Goethe ©Jürgen Lecher
Jens Weidmann lors de son discours à l'Université Goethe

Lors de cette conférence à Francfort, le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, a lui aussi souligné ses réserves vis-à-vis d'une politique monétaire trop expansive. "Je partage l'inquiétude quant à une politique monétaire trop laxiste pendant une période trop longue" a-t-il dit dans son allocution de bienvenue pour M. Rajan. Dans cette allocution, M. Weidmann a honoré M. Rajan pour ses services extraordinaires en tant que scientifique et spécialiste en matière de politique monétaire et a souligné son rôle à cheville entre le monde académique et l'arène politique.

Dans son discours, M. Weidmann s'est également réjoui de la récente nomination de M. Rajan au poste de vice-président de la Banque des Règlements Internationaux (BRI). Depuis novembre 2015, le président de la Bundesbank est à la tête du conseil d'administration de cette institution financière également connue en tant que "banque des banques centrales".

Dans ses paroles introductives prononcées à Francfort, Otmar Issing, président du Center for Financial Studies, a rappelé le discours mémorable tenu par M. Rajan en 2005 à Jackson Hole, discours que M. Issing avait alors suivi sur place en sa qualité d'économiste en chef de la Banque centrale européenne. M. Rajan, à l'époque économiste en chef du Fonds monétaire international, y avait présenté un document de recherche sur les risques élevés dans le système financier. Parmi les économistes présents, M. Rajan n'avait alors recueilli que peu d'approbation, mais la crise financière qui éclata deux ans plus tard devait lui donner raison.

Un éminent économiste et banquier central

Raghuram Rajan a pris ses fonctions de gouverneur de la Reserve Bank of India en septembre 2013. À cette époque, l'économie indiennne souffrait d'une profonde crise de confiance auprès des investisseurs et la roupie avait perdu en l'espace de deux ans plus de 40 % de sa valeur. Une réorientation axée sur la stabilité a marqué le tournant : M. Rajan a adapté la politique monétaire de la banque centrale indienne à l'objectif de la stabilité des prix et a ainsi enrayé la dépréciation de la monnaie nationale. Le taux d'inflation en Inde, actuellement de 4,4 %, s'est réduit de plus de la moitié depuis sa prise de fonctions. De tels mérites lui ont déjà valu deux fois la distinction de "Central Banker of the Year".

Dans le domaine scientifique, M. Rajan a également acquis des mérites exceptionnels. Depuis 1995, il est professeur à la Booth School of Business de l'Université de Chicago, activité pour laquelle il bénéficie actuellement d'un congé. En 2003, il s'est vu décerner? le "Fischer Black Prize" de la American Finance Association, qui l'honore ainsi en tant que meilleur chercheur de moins de 40 ans dans le domaine des sciences financières.

M. Rajan a également fait parler de lui en tant qu'auteur. Son ouvrage "Fault lines: How Hidden Fractures Still Threaten the World Economy" a été élu en 2010 par le Financial Times et Goldman Sachs comme meilleur livre économique de l'année. Dans "Saving Capitalism from the Capitalists", paru en 2003, il a fait ressortir avec Luigi Zingales la frontière étroite entre une aide publique insuffisante et des interventions exagérées de l'État sur les marchés.